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Feria de Séville- mai 2017

par Mai 21, 2017Corrida 2017

Voir la despedida de Fran Rivera Ordonez à Séville

« Tu vas à Sevilla pour la despedida de Rivera Ordonnez ? C’est une blague… ».

Cet aller/retour de 2 jours à Séville à un tel motif laisse nombre de mes interlocuteurs perplexes et dubitatifs. Ils pensent que je charrie, ou que je triche : Morante de la Puebla torée le lendemain, ils songent pour sûr que je dois y aller pour lui, mais que je fais mon mariole. Rivera Ordonez ? Mais il ne torée plus depuis des années ; un retour précédent n’avait pas soulevé l’enthousiasme, et on se souvient que la prestigieuse médaille d’or de l’Académie des Beaux- Arts dont il avait été distingué en 2008 avait provoqué incrédulité et consternation. Morante avait hululé qui c’était une honte, le vieux Paco Camino et le pourtant pondéré José Tomas ont rendu leur médaille, estimant qu’elle n’était pas du même poids, le ministre de la culture espagnol était bien ennuyé, et sans doute la duchesse d’Albe prit-elle parti en faveur de son ex-gendre, ce qui ne dut pas apaiser les affaires de « Fran ».

Moi, Rivera Ordonnez je l’ai toujours bien aimé. Là où la plupart n’ont retenu de lui que l’image papier-glacé du rejeton d’une prestigieuse lignée, les jolies femmes et les beaux mariages, les pages people des gazettes et l’hystérie des jeunes adolescentes à chacune de ses apparitions à Marbella ou Tarifa, des histoires de paillettes et de bord de mer au fond, moi, je n’ai jamais oublié le sable du ruedo, l’œil noir d’Avispado et Pozoblanco . Ce gosse a dix ans quand son père, Paquirri, meurt dans l’arène, tué par un toro. Dix ans, c’est jeune pour une telle tragédie. Et que veut donc faire le fils ? « Torero, comme Papa ».

Tu vois pas la toreria, là ? Et elle ne te suffit pas ? C’est cette résolution d’enfant qui me chavire. Son deuil à lui, au petit Paco, c’est de décider à cet instant non pas de devenir torero mais quelque chose de bien plus grand, de bien plus fort. De devenir le fils de ce père. De tenter de toréer comme lui, de devenir un grand comme lui, un torero largo de belle technique, de ces toreros pour lesquels la corrida est une fête, pleine de fantaisies, où l’on aime la musique et les banderilles. Tout sauf tragique. Un torero de métier, pas philosophique du tout, ni pénétré ni introverti. Un toreo de la facilité et de l’insouciance.

C’est pourquoi Séville l’a toujours beaucoup affectionné. Elle aime les artistes mais déteste les raseurs. Il n’est pas des premiers mais non plus des seconds (les toreros du Nord, de Madrid ou du Pays Basque, les chevaliers à la triste figure, les José Tomas, les Joselito, les Fandino, les Urena- que j’adore aussi mais là n’est pas le propos, la vie n’est pas monochrome). Sevilla se moque comme moi qu’il n’ait été sa carrière durant qu’un torero de second rang, même quand il fut trois ou quatre fois dans les années 90 dans le peloton de tête de l’escalafon. Elle aime en revanche qu’il soit dans l’arène et spécialement à la Maestranza en fidélité à son père, qu’il y fasse beau et que les filles habillées en sévillanes décrochent une fleur de leurs cheveux pour la lui jeter quand il fait sa vuelta. Qu’il ait fait de son deuil une fête. Que tout chez lui respire « la buena educacion ».

Et quoique cette passe ne soit pas la tasse de con leche de Sevilla, elle se pâme de le voir traverser la piste, comme le faisait Paquirri, la cape derrière soi traînant dans le sable, pour aller s’agenouiller devant le toril, en se signant un peu dans l’attente de l’afarolada qui accueillera le premier assaut de son adversaire. Ce geste, tel le coup de chiffon sur la craie du tableau noir, efface cette date funeste du 26 septembre 1984 où un torero est mort. Cette passe n’est pas à Séville une larga afarolada de rodillas a porta gayola ; c’est pour lui comme pour nous une inattendue et majestueuse assomption. Une poignée d’étoiles d’aficion jetées vers le ciel en un brindis sans rancune.

Séville, 1er mai 2017- Francisco Rivera Ordonnez, Juli, Cayetano/ Daniel Ruiz

La corrida est une fête. Aujourd’hui plus que jamais. C’est no hay bilettes pour la despedida de Fran, avec son cadet au paseo ! Plus sévillan, il n’y a pas. C’est ce que j’avais dit à un ami qui se trouvant à Séville pour le boulot m’avait confié que ce cartel ne lui disait rien… Por Dios !!!! Reconnaissons qu’il n’a pas été long à convaincre. Il suffisait de trouver le bon argument. Alors, sans hésiter je lui ai dit, avec le plus de ménagement possible : « Tu sais à Séville, la corrida ce n’est pas la pesée des bœufs, c’est autre chose ».

L’étrange de l’affaire, c’est que la despedida de Fran a été à sa manière, regular. Sans chichis ni tristesse. Pas celle d’un orgueilleux ou de qui veut se faire regretter. Un au revoir poli et même assez classe, mais dépourvu de tout déchirement. La Maestranza, d’ailleurs le savait qui, assez curieusement, n’a pas invité le torero à saluer après le paseo comme on pouvait imaginer qu’elle le fît. Tout se perd. Il a fallu sa traversée du ruedo pour sa première puerta gayola pour que Séville s’ébroue, les banderilles, une dernière paire por dentro de toute beauté, pour qu’elle chavire, sa seconde faena face au meilleur toro du jour pour qu’elle éprouve à nouveau les limites du torero assez largement en –dessous de son adversaire plein de codicia et une épée portée avec un bel engagement pour qu’elle lui consente une oreille. Parce que pour rien au monde elle n’aurait souhaité priver le fils d’une dernière vuelta à la Maestranza, faisant mine à cet instant de ne pas songer à celle qu’elle avait offerte 33 ans auparavant, ici même, à la dépouille de son père, un cercueil minuscule balloté sur une mer d’aficion agitée de chagrin. Y songeait-il, lui, à cet instant ?

Cayetano est mannequin Armani à la ville et torero quand ça lui chante. Est-ce cette tête de gitan ? Ce physique qui irradie d’une étrange sauvagerie ? En dépit de sa carrière aléatoire en dents de scie, on le sent plus torero que mannequin. Armani doit bien aimer la testostérone sous les belles étoffes. Il fallait le voir à sa puerta gayola, le cadeau qu’il fit à son frère. Une allure inouïe de macho, bien calé sur des cuisses puissantes. Rien dans son cite n’évoquait le don ou le sacrifice, à la différence de Fran. Tout n’était ici que défi viril et provocation guerrière. Manquait que la Kalach ! Beau à couper le souffle. Enorme au capote, véroniques de la casa, mains très basses, étirant drôlement la passe comme à l’horizontale mais avec milles vibrations. Puis des chicuelinas marchées pour mettre le toro en suerte, mains quasiment dans le sable, des passes si méprisantes et gorgées de toreria que le toro en a perdu les papiers dans une vuelta de campana dont il sortira hélas quasiment invalide, sous les protestations du public un peu lassé par l’état des troupes animales, terriblement inégales de présentation, la plupart faibles et toutes sauf le quatrième au jeu médiocre.

On retrouvera cette allure au quite à la cape sur le dernier par farol et gaoneras, le farol merveilleux de distinction virile, les gaoneras limpides comme l’eau pure. Très grande paire de banderilles d’Ivan Garcia qui met le feu puis brindis de Cayetano à son frère dans los medios qui nous arrache enfin des larmes. Toreo de faena grande devant un très médiocre adversaire manso et fuyard avec une série à genoux à vous soulever l’âme de toreria, de temple et de lenteur suivie d’une courte série de trois derechazos, le corps relâché, la main basse, enchaînés à un pecho souverain. Nouvelle série courte avec sans doute les deux plus profonds derechazos de la faena et un desplante gitan, où l’on croit qu’il va en faire un avant de le voir tourner les talons par mépris à l’égard de cette bête de peu. C’est ça son desplante : une hautaine répudiation. A gauche, le toro n’a rien ou plus rien et fuit aux tablas. La musique continue à jouer comme si de rien n’était dans une ambiance de Titanic taurin. Cayetano parvient à arracher une ultime série d’aidées par le bas somptueuses avant d’en terminer d’une belle épée. Très grosse oreille avec forte pétition de la seconde. « Tu vois, Séville, ce n’est pas la pesée des bœufs, c’est autre chose ».

Juli n’a rien pu faire de son lot en dépit de son poder, le premier fuyant aux tablas dès la deuxième série, le cinquième, un toro gras, complétement décasté et faible qui n’avait rien à faire dans un tel ruedo.

Séville, mardi 2 mai 2017- Morante, Perera, Javier Jimenez/ Garcia Jimenez

Complet désastre ganadero dont on sort abattu en dépit d’un miracle de faena de Morante devant un toro lent et faible qu’il a ralenti encore davantage en le ressuscitant un peu. Temple, absolue économie de geste, l’état de son adversaire lui interdisant toute enluminure baroque. Faena d’une très grand classicisme rondeno. Pas sévillane du tout. Pas le moindre toque de muleta à gauche, ça vient tout seul. C’est beau et assez grave. Et le miracle absolu c’est que ce n’est pas fade. Saluts.

Perera sera très volontaire face à son premier qui fuit aux tablas et s’y tanque. Abondant et long face au suivant auquel il veut à tout prix servir sa faena maison qui laisse Séville de marbre.

Séville a soutenu avec une ferveur étrange le toreo profilé et fuera de cacho de Javier Jimenez qui a certes une belle allonge de bras mais ni le sitio ni la distance et qui passera loin du moins mauvais du jour, le sixième. C’est sûr « Séville, c’est autre chose ». Pas toujours pour le meilleur.