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Céret, 15 juillet 2023- Sanchez Vara, Damian Castano, Maxime Solera/ Saltillo

par Juil 27, 2023Corrida 2023

Un lot merveilleux pour l’aficionado et terrible de tête pour les toreros. Le cinq, un toro d’estampe pour film d’horreur, a été malheureusement changé sous la pression du public madrilène, ici nombreux, pour cause de légère boiterie… Je ne suis pas sûr qu’un aussi beau toro, à la tête de cerf, dût être changé, surtout après trois piques, sauf cas de force majeure. Mais les armures du 1, du 2 et celles du très haut sur pattes et laid sixième n’avaient rien à lui envier. De la corne, on en a eu tout son saoul. De la corne plus que de la bravoure, même si les tercios de piques ont permis de jauger la sauvagerie et la puissance des bêtes (le 1, le 5′ et le 6) qui se ruent sur l’ennemi sans cependant pousser. Le 2 n’en prend que deux, par faiblesse, le 3 quatre de vilaine manière (mais non mis en suerte par Maxime, ce qui énerve ;  Sanchez Vara viendra au soutien pour la quatrième) et le 4 manso, fuyard et qui fait le quiebro face à la monture pour échapper au châtiment et sera mal piqué sous les huées du public (qui crie au piquero : « que malo eres »).

Bref de la corne, mais des tercios sans grande envergure qui nous laissent un peu sur notre faim.

Alors Céret, arène susceptible, qui tient le rendez-vous attendu pour manqué, se venge de sa déception sur les toreros.

On aurait pu croire que Sanchez Vara, qui est ici chez lui, y serait accueilli comme il se doit. Mais Céret était de mal humeur. La belle réception à la cape du premier, puis un  tercio de banderilles spectaculaire (surtout les deux dernières paires) n’y firent rien. Au troisième tiers, ce toro avait la corne droite vicieuse et zéro passe à gauche. Sanchez Vara a toréé la corne vicieuse en dépit du danger puis un petit tour pour rien à gauche l’a convaincu d’abréger. Echec à l’épée. La dépouille du toro est applaudie à tout rompre, comme un premier avertissement délivré au torero. Sur le suivant, qu’il brinde, après un tercio de banderilles une fois encore énorme, au torero retiré El Fundi, Sanchez Vara tente de mettre à profit le petit fond de noblesse de son adversaire pour toréer moderne, comme tous les toreros punteros le font ailleurs, par des passes templées et longues, sur le plus long parcours du « joli » qui est souvent parallèle. Grossière erreur que le public d’ici lui fait payer cash, sans façon, en le sifflant, peu important que la passe soit belle, le toro embarqué, sa charge entretenue. Il se trouvera même un spectateur pour l’interpeller, une fois l’épée en main, en lui reprochant de ne pas avoir exploité la corne gauche. Qu’à cela ne tienne ! Sanchez Vara, plus moqueur que piqué, décide, à la manière d’un Espla de la grande époque, de faire la leçon à cet héroïque du gradin. Il prend la muleta de main gauche, cite son toro et celui-ci l’avise méchamment en refusant le tissu pour y préférer le poignet. Sanchez Vara rigole ; tout le monde avait enfin compris…Epée al encuentro efficace et vuelta protestée. Il faut quand même oser protester le tour d’honneur d’un torero si modeste mais de cette trempe, qui torée si peu, et qui a fait tant de nos après-midi à Céret quand le danger menaçait. Aujourd’hui le danger menaçait moins ; on ne le lui a pas pardonné.

Maxime Solera, il est vrai moins héroïque qu’à l’habitude, n’a pas eu droit à plus d’égards. Lui aussi a eu la chance de devoir affronter un toro noble, qu’il a véroniqué fort bien, avant d’expérimenter le temple et la passe longue qui lui sont ordinairement chichement donnés et lui aussi fut sifflé pour ne pas être dans le sitio, un peu décentré, sifflé de se régaler et de se jouer d’un toro, alors qu’ici on exige l’affrontement. Il tue désormais de main droite, fort bien, et continue à descabeller de main gauhe, fort mal. Saludos à son premier, silencio à son second, un toro muy tardo qu’il a toréé par naturelles aidées dans l’indifférence générale, une grande partie du public préférant se lamenter bruyamment sur les dysfonctionnement affectant quelques ampoules des lampadaires, alors que le ruedo était gagné par l’obscurité, inédite à 20 heures, en plein mois de juillet.

Il restait donc Damian Castano et ses deux toros, les plus armés du jour, ce qui lui a immédiatement valu la sympathie générale, tant on s’attache ici à la terreur. Et quel torero ! Face à son premier, hyper dangereux, qui coupe, con genio et avec des cornes effrayantes qui cherchent l’homme à chaque passe, il fut héroïque, ne renonçant jamais, tentant et retentant de faire quelque chose d’un toro qui ne voulait ni jouer ni passer, jusqu’à prendre l’ascendant, montant sur son adversaire, en une série de la droite gorgée d’émotion, puis de servir à gauche une série (oui, une série) de quatre naturelles, dont l’une inouïe, dessinée, le corps droit, le bras relâché, et la main basse. On vous dira qu’une épée énorme de décision et d’exécution lui a décroché l’oreille. Le courage, l’abnégation, l’insistance et la réussite fugace mais miraculeuse de ce qui avait précédé étaient à la hauteur de cette conclusion. Olé torero !

Damian a brindé son suivant (le sobrero de Las Manos) à nos voisins de rang, des aficionados de Madrid que nous voyons tous les ans, membres d’une association exigeante comme son nom le laisse deviner « Tres puyazos » ; l’honneur d’une telle offrande les a rendus très sages. Très bon début de faena sur la corne droite, devant un toro tardo, le torero très dans le sitio parvenant à lier les derechazos et à enchaîner deux pechos émouvants, avant que son adversaire dur, sans qualité, distraido, ne cesse de jouer.

Très grosse après-midi de Castano, très courageux, très digne, très torero, en présence, pour la corrida du jour, de Dominique Fernandez, écrivain affectionné, anticonformiste de toujours, mais Académicien français tout de même, immortel de 90 ans, aficionado discret, retenu et impassible qui n’a pas perdu une miette du spectacle, tout concentré qu’il était, à la différence de quelques autres, sur l’essentiel qui se jouait dans le ruedo : des hommes se mettant en danger pour notre plaisir. Une leçon que Céret ou les quelques braillards qui font l’opinion, devrait tout de même méditer à ses heures.