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Nîmes, 26 mai 2023, Daniel Luque, Angel Tellez, Francisco de Manuel/ El Parraejo

par Juil 24, 2023Corrida 2023

« J’embrasse pas… »

Angel Tellez, qui confirmait son alternative à Nïmes, n’embrasse pas. Ni son parrain d’alternative, ni son jeune témoin. Il est vrai qu’une confirmation d’alternative à Nîmes n’a aucun sens.

Cette invention de l’empresa est affligeante. Un torero prend l’alternative quand il combat pour la première fois de sa vie un toro d’au moins quatre ans. L’aternative, c’est son diplôme. Après des années d’apprentissage, il  devient enfin torero. Ou que ce soit, grande ou petite arène, peu importe, une alternative est une alternative. Pour l’impétrant, un moment décisif, sa communion, son baccalauréat, un rite de passage. La cérémonie, en elle-même, est à la fois sommaire, réduite à sa plus simple expression, et compliquée d’exécution. Le torero le plus ancien de la corrida du jour va symboliquement offrir ses armes, muleta rouge et épée, au jeune qui postule à la catégorie supérieure, lequel va lui remettre en échange les siennes. On sort sur la piste, face au public, et on s’échange les  outils du métier, comme un passage de témoin ; on se dit quelques mots, devant le témoin (l’autre torero) qui reste quelques pas en retrait, puis on se donne un abrazo. Un fuerte abrazo en se tapant sans ménagement dans le dos. Un abarazo à l’espagnole. Un fois le premier combat achevé, au toro suivant, parrain et impétrant se restituent leurs armes respectives, chacun retrouvant les siennes. Une alternative, c’est cela, un échange symbolique des sangs. C’est pour cela qu’on se donne une fuerte abrazo. Parce que l’on devient frères d’armes.

Une confirmation d’alernative n’est rien. Ou plus exactement, c’est énorme parceque c’est le premier contrat que l’on gagne à Madrid. Celui que la réussite des premiers pas, la curiosité ou la rumeur flatteuse vous auront permis d’obtenir. Vous étiez torero, et Madrid, qui a envie de vous voir de ses yeux vus, vous fait enfin une place dans les cartels de Las Ventas où elles sont chères devant un public exigeant. Au vrai, la confirmation d’alternative à Madrid, c’est dans la carrière d’un torero une étape encore plus décisive que l’alternative si l’on veut espèrer durer un peu dans le métier. Une étape qui n’est quelquefois jamais offerte ni franchie. La confirmation, c’est énorme parce que c’est Madrid. Tout le monde l’entend ainsi : toreros, empresas, mundillo, spectateurs.

Mais à Nîmes… A Nîmes, c’est de la contrefaçon, du parasitisme. Ridicule comme du faux Vuitton, ou du Dior de contrebande. De la bandoulière en toc, de la basket de Barbès ou de Putian (Chine).  Qui fait peine. Nul ne croit, ni un torero, ni le mundillo, ni aucun spectateur d’ici ou d’ailleurs, que gagner son contrat à Nîmes serait le signe de quoique ce soit dans une carrière de torero ni même une étape. Car nul ne confond un faux Vuitton avec un vrai. Et vu le niveau où la plaza est tombée depuis une dizaine d’années (en présentation des toros, en rigueur du palco, en exigence du public), même un triomphe annoncé ici est désormais dévalué partout ailleurs. Alors, un premier contrat à Nîmes, c’est un contrat de plus, c’est sûr ; mais tu parles d’une confirmation !

Il reste que, depuis des années, se haussant du col et escomptant sans doute donner le change à la décadence dans laquelle nos arènes se vautrent, l’empresa affectionne les confirmations d’alternative, ici, une  mise en scène du rien.

Au moins nous restent-ils les abrazos des toreros, cette fraternité d’armes, symptahique, même lorsque l’on doit faire semblant.

Eh bien, cette fois-ci Angel Tellez a dérogé. D’abrazo, il n’y eût pas ! Ce fut d’ailleurs le fait le plus notable de la « corrida » du jour. Lorsque Daniel Luque  transmit les armes du métier à son jeune compagnon, celui-ci se refusa à l’abrazo, et, fort solennel, tendit la main à son parrain d’alternative, une main froide et distante, tenue à bout de bras, un bras long et raide comme l’étiquette à Buckingham et a, à peine, salué son témoin, d’un coup sec de menton et d’une talonnade de zapatillas (à cet instant de discipline toute militaire, on imagine que les zapatillas sont dotées de talons..).

Et de cette solennité, terriblement affectée, notre torero ne s’est jamais départi de tout l’après-midi. Quelque chose d’un peu tolédan, de l’amidon des gentilhosmes roides du Greco. Angel Tellez esthétise beaucoup les temps morts, comme qui s’est trop regardé dans le miroir en attendant les contrats. Ce torero soigne beaucoup son allure dans le ruedo ; il a raison, c’est loin d’être négligeable dans un art tout de ritualité. Et ce souci de l’allure, cette forme de fierté altière l’ont conduit quelquefois à aller un peu au-delà de lui-même, à venir systématiquement au quite sur les toros de ses compagnons, n’hésitant pas à challenger Daniel Luque  (avec plus d’intention que de réussite), à chercher d’emblée le sitio lors de l’entame de sa première faena (avant de se décentrer outrageusement sur les séries suivantes), puis à baisser joliment la main dans ses passes de cape de réception sur le suivant. Mais c’est tout.

Son jeune compagnon, Francisco de Manuel, qui a peut-être bien, lui aussi, confirmé son alternative, mais nul n’y aura alors prêté attention, a plus de naturel. Un physique qui rappelle vaguement celui de Pablo Aguado, et quelques jolies manières.

Mais, des toros, qu’en était-il ? Ah oui, mille excuses, j’avais oublié !  De toros, aujourd’hui, il n’y avait pas. Ou plus exactement il y avait des bêtes sans trapio ni cornes, sans caste et sans âme, sans une once de présence, de mobilité ou d’altérité.  Au physique, des toros pour Saint-Laurent d’Aigouze (je n’ose même pas écrire Saint-Gilles ou Les Saintes-Maries de la Mer où j’en ai vu de bien mieux présentés ; quelqu’un est-il allé voir ces toros au campo et, pire encore, les choisir pour Nîmes ? Vite un nom : il faut le congédier d’urgence si nous souhaitons survivre….). Au moral, des enclumes, et des enclumes molles, comme les montres de Dali.

Seul Daniel Luque, à l’acmé de sa forme et qui en a vu d’autres dans  des arènes de deuxième ou de troisième catégorie, a su tirer (et assez joliment vu le matos), son étincellante épingle du jeu. Sa réception à la cape sur son premier aurait été d’anthologie s’il avait eu un adversaire : une dizaine de parones, les pieds joints, sans bouger d’un pouce, des passes millimétrées, sèches, envoûtantes, gorgées de toreria. Et, à force d’abnégation, la douceur et la suavité qui sourdent de son bras relâché et d’un poignet de porcelaine à la faena sur le suivant épatent, malgré tout, et lui décrochent une oreille.

Autant dire rien. Un simulacre de corrida de toros, à vous dégoûter d’être aficionado.  Angel Tellez n’embrasse pas ? Il a bien raison. La corrida du jour était un vraie tue l’amour.