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Nîmes, vendredi 3 juin 2022, Curro Diaz, Juan Leal, El Rafi/ EL Parralejo

par Juin 7, 2022Corrida 2022

La rumeur annonçait la corrida la mieux présentée du cycle. Faut toujours se méfier des rumeurs. Le premier et le sixième toros étaient des sardines, des animaux sans trapio, ni tête quoique le premier (pour Curro Diaz), au port altier, la portait assez fièrement, genre officier de cavalerie à la retraite, un peu maigre, flottant dans son costume mais un brin d’allure tout de même en début de coktail. On progressait un peu avec le deuxième (pour Juan Leal), plus de trapio, plus de cornes, plus de présence. Le troisième (pour El Rafi) était un invalide. Restaient donc le quatrième, le meilleur toro de la course, pas très joli mais bien en tête et seul à pousser un peu au cheval, et le cinquième, sans doute le plus beau en présentation, mais avec ici ou là des signes de faiblesse, qui constituait le fond de sauce de la corrida du jour.

El Rafi, en dépit d’un allant incontestable et d’une manifeste volonté de convaincre, a été joué par le sort. Son lot, le plus faible de la course, ne permettait rien. Mais le torero, aux allures de jeune homme de bonne famille, plein de bonnes manières, un visage de communiant qu’une irresistible mouche sur le visage, au-dessous de l’oreille, rend plus jeune encore, ne s’est pas laissé condamné par la figuration. Son quitte par chicuelinas sur le toro de Curro Diaz, la main très basse, fut savoureux : on songeait à Manzanares père. Le second sur le toro suivant, aux lignes compliquées (était-ce des lopezinas ou autre chose, cape en torche à la verticale puis passée dans le dos après un farol ?) fut moins convaincant, mais on appréciait cette volonté de s’imposer envers et contre tout. Les deux belles épées (celle sur son dernier sans doute plus habile) entières et efficaces, sont également notables. A revoir, donc, un jour de toros.

Curro Diaz, visage bistre, cheveux dans le cou, s’est plus régalé qu’il ne nous a épatés. Joli début de fanea sur son premier, avec des séries de la casa, très templées, le corps parfois à l’oblique au-dessus de la bête, laquelle cependant se vide très vite. Epée entière caidita. On attendait la suite avec impatience, et la sortie du quatrième, le plus beau et le plus complet de la course, nous fit espèrer le meilleur. La caste du toro poursuivant un maheureux péon qui venait de planter une paire de banderilles, le corps balloté entre les deux cornes du fauve qui cherchait  à l’atteindre et ne parvenait qu’à le secouer de droite et de gauche – façon shaker, et le menaçant ainsi sans faiblir jusqu’à la barrière, donnait le ton de ce qui aurait pu advenir. Et on crut un instant que Curro Diaz, ici affectionné, après avoir offert son combat à Curro Caro, allait y parvenir tant la première série de doblones, un genou en terre, suivis du pecho, était impérieuse. Voir un torero « tenir » ainsi, aussitôt, son adversaire, le soumettre, le toréer est quand même très beau. Hélas, les séries qui suivirent furent lointaines et marginales. Curro Diaz temple du pico, trop à distance, les fesses en arrière. C’est d’autant plus agaçant que ce toro, armé mais de grande noblesse, avait du fond ; chaque passe charriait avec elle la frustration de ne pas voir toréer ce qui aurait mérité de l’être. Curro Diaz, qui avait tout de même l’air très content de lui, tua cependant merveilleusement bien, une épée d’anthologie, se jettant sans rechigner dans les cornes, à la vie à la mort. Une oreille que cette épée seule justifie pleinement.

Et puis il y eût Juan Leal. Très intéressant sur son premier et accablant sur son second. Attendant l’un, à genoux, du centre de la piste pour deux passes du cambio que la longue course de son adversaire a rendu très spectaculaires, puis toréant avec classicisme des deux mains, dans le sitio, templant, liant, le corps plus droit qu’à l’habitude avant de terminer, à sa manière, dans un terrain réduit, par porfia, se jouant des cornes du toro, le faisant passer de droite, de gauche, à l’endroit à l’envers sans broncher d’un pouce. Ce moment de tremendisme, qui porte beaucoup sur le public,  est venu à son heure, en fin de faena après un travail méritoire qui lui valu, après une épée aux trois quarts et descabello décisif, une oreille réclamée.

Puis, hélas, il y eût le suivant. Et on retrouva alors les travers du torero : inesthétisme, abscence d’idées, condamné à la porfia tant il ne sait que faire de son adversaire. Les passes d’entame par doblones, une jambe un peu pliée, ont été efficaces mais étaient très laides. Une fois debout, Juan ne parvint jamais à lier les passes et ses trois pas de replacement entre chacune devinrent vites affligeantes. Condamné à faire autrement rugir les tendidos, son numéro de porfia, non dépourvu de coeur et de courage, dans un terrain réduit où le toro rode près de la cuisse, est alors assommant. Le public se divise, une moitié d’arène s’enthousiasme, l’autre siffle, excédée. Juan se jette comme un possédé pour la mort (épée d’effet immédiat). La partie du public que ce toreo près des cornes avait exalté réclame l’oreille. La présidence la lui concède. L’autre proteste et le quiproquo s’intalle : la présidence croit qu’on la blâme de récompenser si chichement. Qu’à cela ne tienne ! Un second mouchoir blanc tombe du palco qui assure à Juan Leal une Porte des Consuls que nul n’avait eu à l’esprit de voir s’ouvrir ce jour.

Nîmes ouvre donc son cycle de la Pentecôte taurine sur un quiproquo présidentiel, une ânerie majeure qui, une fois encore, déclasse ses arènes. Quelle tristesse…..

NB : Très belle paire de banderilles de Raphaël Viotti sur le premier du Rafi et deux extras de Marco Leal sur le second de son cousin