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Nîmes, samedi 8 juin- Antonio Ferrera, Roman, David de Miranda, Tonete/ Jandilla

par Juin 13, 2019Corrida 2019

Commencée au grand soleil d’été, cette corrida à 8 toros s’est effilochée jusqu’à un crépuscule automnal où deux toreros fichés sur les épaules de leurs fans ont paradé en triomphe devant une arène vidée des spectateurs n’ayant point supporté une si longue épreuve quand les autres, les braves restés jusqu’au  bout, par aficion, savoir-vivre ou convention, ne se souvenaient plus guère du motif desdits ces triomphes, tant ils avaient été en leur temps (un siècle) exagérément récompensés et paraissaient lointains à nos esprits assommés, groggys de tant d’abondance (de toros, d’oreilles, de passes, de mauvaises lidias).  Cette idée de faire entrer un torero supplémentaire au cartel du jour et de nous offrir donc deux combats de plus pour une corrida de près de 4 heures relevait de l’esprit de retape «  Si vous m’en prenez trois, le dernier est offert » sans doute sympathique mais  manifestement peu compatible avec ce qu’est la corrida, sa part d’aléa, ses surprises,  la force inattendue des cartels modestes et sans « story telling »,  la rareté du beau qui fait seule le « beau taurin » grandiose, sa poésie, laquelle est rarement au kilomètre. Les espagnols appellent ce type de cartels à plus de trois toreros ou de six toros « monstruoso ». C’est le mot.  Monstrueux. Qui ne veut pas dire seulement « extraordinaire », «  énorme » ou « colossal » mais aussi « démesuré », « insensé », « effroyable », « épouvantable ». Oui, c’est ça, c’est bien ça. Ce jour ce fut «  La Grande Bouffe ». « Vous en reprendrez bien une cuiller » ?

(la suite après ma tisane ….)

L’infiltré était donc David de Miranda, inclus au dernier moment après son retentissant triomphe madrilène. De très beaux gestes à la cape sur son premier, un peu anovillado, mais à la tête sérieuse, faible mais avec allant, noble avec ça. S’en détachent deux véroniques en parones sèches et arrogantes et un quite de belle originalité avec de très jolis enchaînements. La faena est agréable depuis les passes de banderas d’entame, plus raides qu’immobiles, jusqu’à une série finale de naturelles données de trois quarts, le tout en confiance mais sans peser. Le toro, un toro à deux oreilles, de jeu, de mobilité et de présence, en profite, fiche sa corne  dans la chaquetilla et soulève le torero que l’on voit suspendu et secoué, secoué et suspendu encore plus haut dans les airs . C’est horrible mais le torero s’en sort sans blessure apparente et reprend là où il avait été interrompu, dans la série de bernardinas finales. Cette toreria, à cet instant, est magnifique. Epée. Une gentille oreille nîmoise est d’évidence. Mais il en tombe deux du palco, à la stupéfaction générale !!!! David de M. se fera manger par le suivant, incommode, con genio, à la tête mobile. Bref nous ne sommes pas à Madrid.

Roman venait en remplacement d’Emilio de Justo, blessé, et nous devons bien reconnaître que nous n’avons pas gagné au change puisqu’il nous faut, désormais ici aussi, parler en commerçant… Il est complètement passé à côté d’un Jandilla de grand jeu, noble et de belle caste  (son premier) nous lassant alors que son toro était inlassable, dans une faena effectiste et laide, hurlante, et quelquefois ridicule (ses poncinas finales). Il a gaspillé dans une pareille bonne humeur son toro suivant, certes un peu faible mais de grande classe dans la charge qu’il n’a à aucun moment toréé, faire des passes lui suffisant. Ne  me demandez pas pourquoi un tel hors-sujet a été récompensé d’une oreille très majoritairement protestée. Un jour plus tard, tous l’ignorent encore.

Tonete, avec certes un lot très en dessous, a fait ce qu’il a pu, c’est-à-dire pas grand-chose -encore que s’accrochant sur le dernier du jour, toréé à la nuit, quand tout le monde ou presque était parti.

Antonio Ferrera, lui, c’est autre chose. Voilà l’exemple le plus parfait de la mutation d’un torero, naguère plus physique qu’artiste, pueblerino, agité et gueulard, qui a décidé depuis deux ou trois ans de changer de manière. Plus calme, plus posé, il est à la recherche de quelque chose qui ne lui a pas été donné au berceau par les fées de l’aficion : l’art, l’intériorité, l’harmonie, le sentiment. Alors il sculpte son toreo comme son nouveau personnage, à la truelle, de manière très appuyée, avec une affectation terriblement ostentatoire. Il ne se tait pas, il nous montre qu’il ne hurle plus. Il ne torée pas avec sentimento, il voute désormais ses épaules au passage du toro. Il bouge moins, se tient dans le terrain du toro et, compte tenu de son énorme bagage technique, il étonne, et quelquefois il plaît comme à Madrid il y a deux semaines où les plus exigeants des revisteros ont évoqué une faena historique.  Je dois avouer que je doutais un peu. J’aime beaucoup le « travailler plus pour gagner plus », j’adore le mérite, le travail et l’exemple, mais au fond je crois d’avantage, dans le domaine artistique, à la chance, au talent inné et à la grâce – qui est d’abord gratuité c’est-à-dire injustice : si la grâce n’était pas injuste, elle ne serait plus la grâce, ce miracle distribué à la volée.

Eh bien, reconnaissons que je me suis trompé. Ce Ferrera m’a plu, voûté certes, mais au plus près du toro, cherchant à l’envelopper, à accompagner sa charge, à ne faire qu’un avec lui à force de patience. Un de mes amis a évoqué en parlant de Ferrera l’attitude d’un félin, avançant en silence, à petit pas, tout en ondulations brèves, discrètes et venimeuses. Il y avait de ça durant sa première faena où, abandonnant l’épée, il a toréé au naturel des deux cotés. Et une passe de réception au capote était d’une étrange beauté, une véronique qui se termine avec un rebord de cape sur le bras. Un récibir décisif lui vaut 2 oreilles ridicules là où toute l’arène sauf la présidence n’en avait vu qu’une.  Le deuxième combat était d’une autre nature qu’imposait un toro avisé qui jouait vilainement de la tête. Trasteo de macho et de poids, mais un peu à l’ancienne manière de Ferrera, un brin bavarde et agitée.  «  Chassez le naturel….».

Une corrida avec quatre toros de beaucoup de jeu, juste de trapio mais armé. Trois toreros sur quatre en dessous. Et une présidence affligeante qui déclasse cette belle arène en soldant les trophées sans aucun critère. Ce qui donne dans les toilettes ce dialogue entre un père et son fils- c’est le fils qui parle : «Papa, ça siffle : le torero a dû avoir une oreille ». Ah, Nîmes……