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Nîmes, vendredi 7 juin 2019- Thomas Joubert, Thomas Dufau, Andy Younes/ El Torero (S. Domecq)

par Juin 13, 2019Corrida 2019

Ambiance terriblement «  Il pleut sur Nantes », la chanson de Barbara, pour ce premier cartel d’entame de trois toreros français. Une puissante averse, cinq minutes avant le paseo, brève, froide et terriblement mouillante, a donné le ton. A la grisaille et au lait renversé. Que pena ! Deux toreros sur trois sans contrats, Thomas Dufau revenant de Madrid, les trois étant condamnés au triomphe sous peine de sanction, pas loin alors d’être définitive.

Un public froid, à l’empathie étouffée dans les replis des ponchos en plastiques et autres K–Way, a assisté sans broncher au naufrage de l’après-midi, triste comme la Camargue à la Toussaint. Les toros, bien présentés, à la tête sérieuse, nobles, quelques-uns avec bravoure et caste, ont remporté leurs combats face à des hommes empruntés, insuffisants et pâles. Les trois premiers et le sixième étaient des toros de triomphe, des toros mobiles, à longue charge, qui humilient dans la muleta, qui transmettent mais dont il faut s’occuper un peu. Et de triomphe, il n’y eu point, à l’exception d’une oreille bienveillante pour Thomas Dufau sur son premier, le second de la course, un rêve de toro.

Il faut dire que les toreros paraissaient avoir renoncé à porter trop haut la marque, il est vrai quelquefois critiquée, de leur personnalité. Bilan : il ne restait plus grand-chose alors, sinon le cruel défaut de contrat, d’expérience, de souci de construction d’une faena, d’ambition.

Thomas Joubert, ce jour, n’était plus le torero lent, solennel  et spectral que nous affectionnons. Une bonne entame de faena et de jolies   choses à droite sur son premier, mais un trasteo très en dessous de son toro qui exigeait et permettait beaucoup plus. A mi-passe, ce jour, Thomas ne parvient plus à allonger le bras, et cette incapacité sera plus nette encore sur le suivant, dont il ne parvient pas à ralentir la charge encastée, hormis peut—être dans sa série de doblones d’entame, vibrants et gorgés de toreria. Puis grosse difficulté à lier les passes, trois pas de replacement à chaque fois. Termine par une série de naturelles de face en fin de faena où, à mi-passe,  le jet de tissu à l’arrière évite l’allonge du bras, et par ses manoletinas habituelles. Le geste ne manque pas d’allure mais le tout a nettement manqué de profondeur. Epée aléatoire et pluie de descabellos dans un silence affligé dont Thomas a sans doute compris le ressort.

Andy Younes lui, a perdu sa gaité, de toréer. Un quite par gaoneras serrées sur le troisième de la course nous mit pourtant l’eau à la bouche, puis sa première série d’entame à la muleta, à genoux, au centre de la piste, avec un changement de main inouï et un pecho de grande allure, qui laisse mes voisins de rang de marbre mais qui m’épate. D’épate, hélas, ensuite il n’y  a plus. Toreo superficiel et parallèle, où Andy dessine des passes sans toréer. Manifestement diminué au cours de la faena suivante par une blessure à la cheville, Andy passera complètement à côté du dernier. Ce garçon a manifestement renoncé à sa tauromachie que j’aimais tant, joyeuse, irréfléchie, audacieuse, entreprenante, un peu harcelante à la manière du canari espiègle dans «Titi et Grosminet ». Il reste son rêve sans tourments et l’indifférence polie sinon agacée des spectateurs qui en sont les témoins.

Quant à Thomas Dufau, il dit partout que son modèle est Manzanares père. Soit. Aujourd’hui, c’était plutôt du sous—El Fandi. Un toreo très physique mais appuyé, gueulard, vulgaire dans deux faenas allant a menos. Y compris devant le beau toro du jour, idiotement récompensé par une vuelta  mais  qui exigeait le triomphe.

Voilà : le tout était triste et pesant devant un lot de beau jeu. Plus pénible encore : l’incompréhension qu’ont cru devoir manifester à la vue de tous et de la présidence Thomas Dufau et Andy Younès à être si piètrement récompensés. Comme si le piètre, ce jour, était de la faute des autres. Seul Thomas Joubert, drapé dans une dignité triste, a quitté l’arène en maestro.  Applaudi pour sa classe, même un jour de peu.