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Arles, 9 septembre 2018- Emilio de Justo, Juan del Alamo, Juan Leal/ Baltasar Iban

par Fév 13, 2019Corrida 2018

Une corrida comme on les aime : des toros et des hommes, à un degré d’intensité et de vérité auquel on n’est  plus guère accoutumés. La vie même.

Des toros d’abord : très bien présentés, du trapio, de la présence, de la caste, des cornes, et avec cela du jeu et de la noblesse. Mais c’est la caste qui domine, cette violence de début de charge, ces départs en trombe vers le piquero, cette manière de ne pas lâcher le torero. Seul le 5ème sera de comportement médiocre, les 1, 3 et 4 (manso) d’un intérêt constant, le 2 (seul à avoir pris 3 piques) était sans doute le plus brave mais hélas un problème inattendu de pattes l’a affaibli au 3ème tiers. Sans doute la vraie bravoure n’était-elle pas au rendez-vous et les piques étaient-elles trop puissantes pour nous donner de beaux tercios (le 2 et le 5 étaient cependant spectaculaires, et le prix de la meilleur pique récompensera le 5).

Avec de tels adversaires, tout est beau à voir, chaque suerte est gorgée d’intérêt : la brega des peones ; la pose de banderilles où la cuadrilla de Emilio de Justo s’est bellement illustrée sur son lot ;  ces toros qui suivent les hommes jusqu’à la barrière ; les passes qui se méritent et l’entame de Juan Léal par passes du cambio depuis le centre, en citant son toro de 30 mètres, face à un adversaire de cette catégorie, n’avait soudain plus rien à voir avec celles de la veille devant un torito plein d’allant mais qui n’était alors que joueur.

Oui, la corrida ! Pas l’historique, mais la vraie. Voilà qui nous change. Tout y est authentique.

La pâleur extrême de Juan del Alamo, à la talanquera, dans l’attente de son premier. Son apoderado, José Ignacio Ramos, l’ancien torero, qu’on voit se signer dix fois dans le callejon avant la sortie des toros de son poulain. Deux ou trois banderilleros qui échappent à la corne par le miracle d’un quite. La rage furieuse et irrépressible d’Emilio de Justo qui, après un désastre à l’épée, joue du descabello comme, sur le ring, un désespéré des poings sur plus fort que lui, face à un toro qui ne baisse plus la tête, sans plus aucun souci, d’ailleurs, lui le torero, de mettre en suerte son adversaire, bazardant  ses coups comme le ferait un puntillero psychopathe à un toro encore debout, impuissant mais persévérant, sans doute dans la hantise d’entendre sonner un troisième avis, s’en remettant à la seule providence pour que dans cette grêle de frappes mécaniques, insistantes et pistonnées, la pointe d’acier qui se dérobe puisse enfin être décisive. Et la Providence tardera beaucoup. Dans cette scène belle et tragique, il y avait du désespoir d’assassin. C’était très fort.

Et l’embarras de Morenito d’Arles auquel Emilio avait brindé son toro et qui ne savait plus que faire après un tel désastre, qui s’approchait les bras ballant du torero abattu à la talanquera, sans oser ni lui parler, ni le remercier, ni lui restituer sa montera, tenu à distance par le respect et le deuil des trophées évanouis.

A part ça qui est déjà beaucoup quand on aime la vie et l’intensité des émotions, nous avons vu un Juan Léal, épatant de courage et d’allant sur son premier, depuis les passes d’entame (les passes du cambio émouvantes de vérité) jusqu’aux bernardinas finales très serrées et ces pechos de ceinture qui sont sa marque avec une belle élégance dans le ruedo . Très jolie et méritante faena pour signer son retour dans les ruedos après sa spectaculaire blessure de Bilbao. Un bajonazo le privera de trophée (l’après-midi n’était pas celles des épées…). Moins convaincant avec le sixième, sans doute le plus incommode, un toro incertain mais avec gaz, devant lequel il hésite à décoller le bras du corps, ne sachant pas trop qu’en faire avant de l’étouffer dans un numéro de porfia sur un terrain réduit, impressionnant mais à contre style (du toro).

Juan del Alamo n’a pas eu le meilleur lot. Appliqué et sérieux devant son premier faible, et à assez quelconque sur le cinquième qui s’est révélé médiocre au troisième tiers.

Emilio de Justo a dominé l’après-midi. C’est un capeador puissant et sans fioriture. Sa première faena gâchée à l’épée était très belle avec notamment trois séries de naturelles allant a mas de toute beauté puis une très grosse série finale de derechazos qui aurait pu nous emballer n’auraient été les aciers.  Le plus beau aura cependant été sur son second aux cornes, notamment la gauche, impressionnantes. Hélas, ni les doblones d’entame un genou ployé, plein de dominio et de toreria ni trois séries de naturelles profondes, centrées, dessinées, templées n’ont porté sur un public alors apathique et qui n’a pas su voir ce qui aurait fait rugir Las Ventas. Voici deux fois que je vois ce torero. J’aime beaucoup sa main gauche et assez sa gueule aux traits de mec, un peu marqués, la peau tannée, dont se dégage une impression de maturité et grande puissance, avec un rien dans le visage et l’allure d’un Joselito ou d’un Paco Ojeda, selon les moments. Reste sa position souvent fuera de cacho, surtout à droite et cette après-midi (hélas) sur la série finale devant son dernier toro dans des naturelles de face terriblement abâtardies. Dommage. Mais on sent tout de même que ce torero est d’un autre bois que bien de ses contemporains.

Moitié d’arènes, ce qui n’est pas si mal. Arles fait des efforts (goyesques, variété des cartels et choix raisonné des encastes, mise en valeur de la suerte des piques, récompenses en piste) et cela commence à payer. Si Nîmes pouvait s’en inspirer un peu….