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Céret, 14 juillet 2018. Robleno, Javier Cortez, Juan Leal/ Sao Torcato

par Fév 13, 2019Corrida 2018

J’ai fait Céret un peu la tête ailleurs. Fatigue, belle soirée entre Llança et Cadaques, la France en finale de la coupe du monde le lendemain. Ce qui m’amuse le plus ici, c’est le public, sa manière savante et bavarde de tout commenter, son ridicule à ne pas vouloir s’en laisser conter, ses vanités de village gaulois à résister pour résister. Enfin Gaulois, vous voyez ce que je veux dire. Je ne veux offenser personne en pays catalan !!! Et le respect que cette plaza inspire bien sûr, tenue par une association d’aficionados de verdad qui tentent de faire les choses bien et différemment. Et l’intérêt qu’y suscitent le toro, la mise en valeur de la suerte de piques, la conviction qu’ « a cada toro su lidia », tout cela a la saveur des temps anciens. On y fouille comme dans les vieux greniers. En remuant la poussière et en tombant quelques fois sur une pépite.

L’aficion et la temporada étant ailleurs ce qu’elles sont, on y vient comme le noyé s’accroche au dernier bois flottant. Céret a des airs de refuge, de centre de remise en forme, et quelques fois de cure psy.

Les Sao Torcato sont d’une ganaderia choyée par un passionné portugais mais inédite. Ceret leur offre, si j’ai bien compris, leur première sortie. Trois exemplaires qui n’ont rien de toros mais avec des cornes énormes au dessin irrégulier, à l’horizontale, interminables ou en courbes, coude ou zigzag, genre zébus sauvages du grand ouest américain, et trois autres, morphologiquement moins étranges, le tout autour de 500 kgs, peu ou prou. Au comportement : décastés, venant à la pique mais ne poussant pas comme il faut, donnant de la tête de manière imprévisible, mansos, errant parce qu’il faut bien faire quelque chose en piste, tardos et brutaux, genre mendiants agressifs. Et armés.

Robleno est le torero affectionné de Céret et c’est pourtant ce qu’on lui a offert à combattre. Digne, élégant et un peu lointain sur son premier, un brin faible (vuelta après pétition d’oreille), sans grand intérêt sur son second. Une série volontaire, engagée et vibrante après des récriminations naissantes du public a donné cependant à penser qu’il y avait plus à faire (silencio après épée caïda).

Javier Cortes m’a fait très bonne impression sur son premier, le plus laid du lot, au comportement erratique qui, cité à droite passe à gauche, répand une impression de grand danger aux deux premier tiers et spécialement durant le tercio de banderilles, après avoir pris pourtant médiocrement trois grosses piques, où un péon s’illustre, bravant le danger, avec décision et toreria.

Cortes commence par doblones au centre, très toréés et une trinchera inattendue sur cet exemplaire qui révélera un fond de noblesse à chercher et capter comme le sourcier le filet d’eau. Cortes le torée par en dessous, comme ce toro l’exige, la main basse, en mandant beaucoup et c’est très beau. Une série de naturelles me parait énorme de position, de tracé, de temple et de toreria. Il faut aimanter ce toro, aller le chercher, tirer la passe, comme un toro à la corde, en forçant avec beaucoup d’abnégation et c’est ce que fait Cortes. Ma voisine espagnole qui ferait passer le tendido 7 de Madrid pour une bande de jeunes filles en vacances  mais qui a dû apprendre la tauromachie dans les livres  murmure «  no », « no » « no » à chaque fin de passe, faisant vivement reproche à son compagnon d’applaudir ce qu’elle blâme ! Une oreille récompense cette faena méritoire.

Faena gauchère où le toro, compliqué et mal piqué par Gabin, doit être très sollicité pour avancer. Trasteo moins convaincant que le précédent alors que ce toro était sans doute le plus intéressant pour l’aficionado.

Plus beau tercio de pique sur le troisième, un piquero sûr malgré la carioca à la première, toro parfaitement piqué à la suivante où il vient bien et pousse. Le toro, noble mais affaibli, manque de jeu et de caste pour un Juan Léal sérieux, appliqué, qui tue d’une épée plate.

Elégance du geste, temple, mais tenue un peu lointaine en début de faena, sur un adversaire médiocre qui donne un petit coup de tête vipérin en fin de passe, avant deux grosses séries de la main droite, profondes. Ca baisse ensuite un peu, Juan tente de se recentrer et se fait violemment enlever deux fois avant de reprendre avec courage et décision.

Bref, rien de de bien grandiose question toros et du côté toreros un Cortes épatant sur le second et un Juan Léal qui tient son rang, avec cependant un manque de quelque chose.

Mais un sentiment constant de difficultés à résoudre ou de danger qui retient l’attention. Ce «  a cada toro su lidia » sur ces « machins » fut un idéal inaccompli. Mais la corrida est passée très vite et sans ennui en dépit de la grosse chaleur et de l’inconfort des gradins qui nous rappelle qu’être aficionado à Céret est également une discipline et un esfuerzo.

Dimanche 15 juillet 2018, matin. Angel Jimenez, Curro Durand, Aquilino Giron/ Maria Cascon  de Salamanque (2 et 3) et Raso de Portillo de Valliadolid (novillada)

Ceret, instruit par l’expérience déplorable consistant à mettre de jeunes novilleros sans contrat face à des mastodontes sans âge, a refusé deux exemplaires de Maria Cascon, suspects de tricherie sur l’âge : on les avait fait passer pour mineurs !  Deux seuls sont sortis de cette ganaderia (le 2 et le 3), l’un qui paraissait néanmoins de plus de 4 ans, un toro, toro, avec du bois, et un auroch …. à la croissance sans doute également précoce. Les quatre autres sont des novillos comme on en voit dans les arènes de première, plutôt jolis, sauf le premier, aux cornes courtes mais astifinas (deux petits poignards) et le quatrième maigre mais avec des cornes imposantes.

Trois novilleros sérieux, bien dans leur tête et leurs zapatillas tout au long d’une novillada entretenida.

Bonne impression d’Angel Jimenez, un peu sur le reculoir face au premier, qui avait été coriace sous la pique par deux fois, soulevant le piquero sur la seconde rencontre, jusqu’à une dernière série finale où enfin il pèse, avant une demi-épée contraire, mais à son aise sur le suivant, qu’il accueille avec entrega par véroniques de verdad avant d’en donner une à genoux et de se relever intelligemment. Son novillo, après deux piques traseras, le tercio étant interrompu par le palco au grand désarroi du maestro et du public pour des raisons contraires, se révèle vif et très noble. Un toro de grand jeu, de beaucoup de présence auquel Jimenez s’accorde bien,  souple et élégant, avec une belle allonge de bras, une jolie main basse à droite, citant de loin et embarquant en dessinant de temps en temps une passe de cartel. Le tout néanmoins un peu marginal compte tenu de la position. Sérieux problème à l’épée. Pétition de vuelta au novillo, refusée par le président, qui ne veut pas se dédire, d’un geste dédaigneux de la main intimant à l’arrastre de pourvoir à l’ordinaire. Novillo applaudi à tout rompre et saluts du torero, un peu déçu, depuis le centre du ruedo. Angel Jimenez a tenu à la perfection son rôle de chef de lidia.

Aquilino Giron a le prénom d’un technocrate bien chaussé de chez nous et un patronyme glorieux sur la planète des toros.  Est-ce ce choix, l’hérédité ou la seule force de la volonté ? Ce type est un tueur et un tueur grandiose. Dieu que la suerte (suerte ?) est belle quand elle est exécutée ainsi. Décidée et décisive. Pure, sans fioriture ni astuce. Une roulette russe au ralenti mais où le tireur est si sûr de son fait que l’on ne ressent aucune crainte pour lui. On est saisi par tant de force et de courage, par tant d’orgueil et d’abnégation. Par un tel goût du sacrifice. Par ce point final qui fait l’œuvre. Et ce jour, ce furent, à chacun de ses combats, deux points d’exclamation gigantesques qui ont fait se lever le public comme un seul homme. Et le reste, ce que cette épée conclut, fut également d’importance.

Surtout sa première faena, très bien conduite, depuis les passes du cambio au centre, jusqu’aux naturelles de face finales en dépit de la mansedubre de son adversaire qui recherchait sa querencia vers les planches d’où le maestro est parvenu à l’extraire avec décision et savoir- faire (une oreille). Sérieusement bousculé lors d’un quite sur le quatrième et disparu à l’infirmerie, Aquilino est réapparu pour son dernier combat. Il a rapidement levé tout doute sur son état d’esprit par quatre vibrantes afaroladas à genoux avant la demie où il était comme enveloppé dans la percale. Un peu moins convaincant a la faena sur un novillo de beaucoup de présence, jusqu’à l’épée qui le sanctifie (saludos).

Curro Duran est tombé sur le lot le plus exigeant et le plus incommode, le premier merveilleusement piqué par Gabin, qui se révèlera tardo et brutal, le suivant, violent, à charge courte, les deux des novillos à trois piques -et des grosses !!!- mais sans grande mobilité au troisième tiers (ceci expliquant sans doute cela, mais Céret tient à ses trois piques même en novillada). Curro a fait face dignement à une telle adversité.

Bonne ambiance, public assez bienveillant aux piétons et la merveilleuse cobla qui joue sa musique de tournoi du moyen-âge avec ses instruments  traditionnels : le tenora, sorte de hautbois au son chaud, le tible, à la musique aigre,  le flabiol, pipo à peine plus long qu’un sifflet, un tambourin suspendu sous l’aisselle en prime.

Cette musique tantôt solennelle, tantôt dansante sonne un peu étrange dans un ruedo. Mais c’est ici la tradition, comme cette « Santa Espina » avant la sortie du dernier, cette « Marseillaise » des Catalans des deux côtés des Pyrénées, qui tire sa force d’avoir été interdite sous Primo de Rivera et sous Franco. Aragon en a même fait jadis un poème ( « Je me souviens d’un air qu’on ne pouvait entendre/ Sans que le coeur battît et le sang fût en feu/Sans que le feu reprît comme un coeur sous la cendre”).

Un demi-siècle plus tard, les dictatures révolues nourrissent toujours les forces centrifuges. De vrais déchets nucléaires, les dictatures…Même enfouies sous l’histoire, elles continuent de polluer les esprits.

Dimanche 15 juillet, après-midi- Finale de la Coupe du monde. Nos joueurs sont champions du monde. Une Marseillaise aurait été entonnée a capella dans les arènes par certains aficionados mais la cobla n’a pas suivi. Catalans on vous dit !