Nîmes, vendredi 18 septembre 2009, Garcigrande – El Juli, Castella et Roman Perez
Roman PEREZ, confirmant une alternative prise à Arles la semaine précédente, El Juli et Castella devant des Garcigrande (480 à 508 kgs) qui ne laisseront guère de souvenir par une après-midi pluvieuse et sans agrément.
Perez sera appliqué, dans des faenas propres mais lointaines, sans autre recours que de reculer quand les choses ses gâtent. Deux belles épées cependant, la première lui valant une oreille.
Castella sans matériel, et un toro qui s’effondre à la première trinchera.
Le Juli commence à me parler : une demi-véronique très basse à son premier après deux chicuelinas sans façon, mais surtout une faena allant a mas, dans un terrain plus que réduit, où le torero dessine une interminable série à droite devant un noblissime adversaire dont il se joue en dérobant l’étoffe à sa vue le toro s’arrête aussitôt avant, d’un toque, de le remettre dans le jeu. Ce plaisir de la domination facile, faite de suspensions de rythme, lors de changements de main dans le dos, et de toques de reprise face à un toro aimanté par la muleta, paraît d’un enfant cruel jouant avec un chiot. Mais le tout, d’une parfaite maîtrise, n’est pas inélégant de geste. Bilbainas en veux-tu en voilà, épée commode. Juli a été grand devant un petit toro. Deux oreilles.
Son second, plus difficile, jette le trouble dans la cuadrilla. Le maestro en fait son affaire de deux doblones, passes du mépris et séries au centre. Une fois à sa main, bilbaina et bilbaina (Dieu que cette figure est vilaine…). Oreille.
Nîmes, samedi 19 septembre 2009, El Pilar- Matias Tejela, Talavante et Ruben Pinar
Un cartel faible qui n’a attiré qu’un tiers d’arène. Casas de louer le toreo de la jeune génération….(le razéteur Adil Bénafitou à nos côtés, avec lequel on fait connaissance).
On a l’impression, sans doute à tort, que l’on voit Matias Tejela depuis longtemps. Ni bon, ni mauvais et pourtant pas régulier non plus. On peine à se souvenir de ses succès comme de ses échecs, et pourtant on l’a bien vu. Où était-ce ? A Valencia ? Castellon ?Mont-de-Marsan ? A Malaga, c’est sûr : cet été, la presse, mauvaise, se demandait ce qu’il venait faire dans les cartels de la feria… et cette question m’avait paru bien incongrue et au fond bien injuste. Et pourtant, ne seraient sa taille de guêpe, sa silhouette de jeune page et sa jolie tignasse frisée, Matias Tejela serait-il toujours dans les ruedos ? Oui, Malaga a tort, il faut aussi son quota de jolis garçons dans les arènes…
Alors, Matias s’appliquera, devant un premier toro faible, à montrer ce que l’on aime de lui ah, oui, c’est cela, ça nous revient ! le temple, cette régulière douceur de l’étoffe que jamais la corne ne frôle. Série à droite très templée, plus superficielle à gauche – la corne cette fois est si loin… Puis des manoletinas -qui n’ont jamais été de vraies passes et, depuis José Tomas, ne le seront que dans sa muleta à lui, ramassée en ruban autour d’une taille presque à nue- sans rien, ni joliesse, ni frisson. Epée entière, basse mais concluante.
Le quatrième sort violent, sera très châtié en poussant fort au cheval, arrivera avisé à la muleta en se retournant à la vitesse d’un chaton, mais d’un chaton qui serait doté d’une corne gauche redoutable, en soi et à l’usage. Matias tente de faire face, mais est débordé. Ses quelques gestes accentuent les défauts de son adversaire qu’il ne parvient à réduire, non sans courage, qu’avec l’épée, décisive.
Talavante n’est pas dans le quota des jolis garçons mais, pour peu que l’on soit chanceux, de lui, on se souvient. Inégal, à la recherche d’une tauromachie hiératique, dédaigneuse des vanités de ce monde, il porte sur un visage à la Philippe II, prognathe et sans éclat, le détachement des martyrs sans gloire. Son corps aussi est d’un autre âge -quand celui de José Tomas est si contemporain-, noué, arthriteux, comme abîmé par les désolations d’une retraite à l’Escorial. Enfin, les jours de triomphe, son sourire est laid, sans joie ni charme, un sourire par ce qu’il faut bien remercier, comme le pauvre la main secourable. Tout en Talavante est du XVII ème siècle. Une toile de Vélasquez. Le chevalier à la triste figure et le gueux, tout en un.
Devant son premier adversaire, assez joli, de 551 kgs, mais qui se révélera faible, le torero va au centre déployer sa tauromachie, se tenant de trois quarts, les pieds presque joints, toréant à mi-distance avec temple. Du pur classicisme. Un clocher fortifié de vieille Castille. C’est beau à couper le souffle. La deuxième série sera un ton au-dessous, le changement de main ne changera rien puis il revient à droite, toréant toujours à mi-hauteur, mais se faisant désarmer dans l’indifférence générale.
La démonstration sera plus complète sur son second avec une entame par sept statuaires alternées avec passes par le bas d’une grande beauté.Puis des séries, à droite surtout, très verticales, très relâchées, parsemées de changements de main très sûrs, devant adversaire un peu trop soso cependant. Manoletinas au tissu ramassé. Le tout d’une grande économie de gestes et de terrain, donnant le goût des meilleures faenas du maestro, ce jour face à un adversaire transmettant peu. Une oreille plus méritée que le public n’était réceptif.
Ruben Pinar devra affronter, un an après son alternative dans ces mêmes arènes, un toro de 495 kgs, très armé. Il le fera à sa manière enthousiaste, les jambes arquées et le cul en arrière, mais non sans talent, par longs derechazos templés, une ou deux jolies naturelles lentes se détachant du tout qui manque de liaison par faute du toro.Une oreille.
Les cornes du 6 seront bien plus commodes mais le toro s’emploie bien à la pique avant de marquer aux banderilles divers signes de fléchissement. Pinar offre son toro au public qui l’a si bien accueilli. Une entame élégante par aidées par le haut puis…plus rien, le torero ne sachant pas profiter de la jolie charge de son adversaire. Le pégapasse récolte une oreille en insistant.
Nîmes, dimanche 20 septembre 2009, au matin, Victoriano del Rio – Morante de la Puebla / Sébastien Castella en mano a mano
Mano a mano Morante/ Castella, ce qui n’a pas beaucoup de sens tant ces deux tauromachies sont étrangères l’une à l’autre. Les toros de Victoriano del Rio, plutôt bien présentés et prenant leurs deux piques réglementaires sans trop rechigner.
Morante a incontestablement ouvert le flacon, comme en maints ruedos cette année, où on le sent plus régulier. Son premier sert peu mais le public, respectueux, attend son heure. Et il a bien fait! La première partie de fanea, lors du second combat, sera souveraine avec des passes aidées par le haut très toréées, le corps conduisant la charge jusqu’au point de rupture : une sculpture du Bernin. Série à droite en se tenant de trois quarts face, avec dominio, temple et douceur, puis des naturelles d’une même eau jusqu’à se faire accrocher. Le toro baisse alors de ton et le torero ne s’accomplit plus. Peu importe, belle épée, le matador apeuré s’enfuit en courant. L’arène, reconnaissante, fait mine de n’avoir rien vu. Oreille.
L’entame du 5 sera de grande beauté aussi avec aidées par le haut, trincheras torerissimes, passes par le bas, changement de main et série de naturelles à suivre sans rupture. Après un tel répertoire, Morante recherche la passe naturelle la plus parfaite, en sert une demi douzaine, qu’il égrène tantôt de grand temple, tantôt de grande de lenteur, tantôt d’infinie longueur. On goûte avec lui comme aux variations de Bach.
On se lasse de Castella, de tant le voir. Mais, ce jour, la présence de Morante à ses côtés paraît le contraindre à explorer des terrains moins ordinaires.
Un très beau toreo de cape à son premier, cité de loin, pour des véroniques douces, mains basses. Mains basses encore -comme je ne les lui connaissais pas- à la muleta à droite comme à gauche, avec deux naturelles parfaites d’exécution plus senties qu’à l’accoutumé. Hélas, Castella bilbaïne à foison en terminant, comme toujours, vide d’autres inspirations. Une impression – sans doute injuste vu l’excellence du travail accompli dans un registre plus classique qu’à l’habitude- d’être un peu en dessous de ce grand toro, récompensé d’une vuelta -sa deuxième charge contre le piquero avec classe depuis 20 mètres avait été très applaudie-, quand le torero l’est des deux oreilles.
Devant son second de 520 kgs qui pousse bien aux piques mais faiblira ensuite, Castella construit une faena et invente un adversaire. Il l’amène en six passes suaves des tablas au centre où il lui distille des séries douces sans terminaison pour éviter les ruptures de rythme, le laisse se reprendre, tire des derechazos de belle facture puis le surprend dans un terrain étroit où la corne rode sans cesse près de la chaquetilla, dans un jeu d’une grande intensité où l’homme s’offre, son tissu à la main, à la bête qui menace. Estoconazo. Deux oreilles.
Même aguante devant toro astifino et cette fois-ci, non sans genio. Est-ce la vraie âpreté du combat, une mort moins bien réussie, une forme de lassitude? Pas d’oreille.
Sortie de Castella, une fois encore, par la porte des Consuls.