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Féria de Séville 2011

par Mai 9, 2011Corrida 2011

Sevilla, 5 mai 2011- El Cid, Cayetano, Daniel Luque/Torrehandilla et Torreherberos

La pluie, cette année, a gâché la Semaine sainte, de nombreux pasos ont dû être annulés et la Virgen de la Macarena a même été privée de procession. Une vierge plus modeste, mais intrépide, a bien tenté de braver les éléments dans la nuit du samedi mais, soudain prise dans la tourmente, elle a dû se réfugier dans la cathédrale d’où les paroissiens sont venus la chercher au matin pour la raccompagner chez elle. Que desgracia ! Calle Iris, le Sévillans se vengent de tant de piété rentrée, et les toreros du jours sont accueillis avec une ferveur peu commune, pressante et exaltée. Il faut dire que Cayetano est au cartel. Torero à la mode pour jeunes filles ayant d’autres préoccupations que tauromachiques, mannequin à ses heures, il est le rejeton fleuri d’une longue lignée de toreros. Fleuri et décadent, qui ne donne guère de fruits, en dépit d’une allure et de quelques gestes qui font toujours espérer le meilleur.

Le fleuri, ce jour, ce fut à la cape, avec des passes rares, des enchaînements précieux, et une douceur d’exécution en hommage à la Macarena privée de sortie. D’abord, au quite sur le premier toro du Cid, une large cambiada en farol liée à des gaoneras savoureuses, le tout très délié. Puis sur le deuxième, toujours au quite, avec des passes inconnues de moi, de la famille des tafalleras mais qui se nommeraient cordobinas d’après mon voisin -du nom d’un torero mexicain Jesus Cordoba, devais-je apprendre par la presse du lendemain, les précédentes étant des « rogerinas ». A la muleta, c’est autre chose, lointain avec son premier adversaire, faible, manso, toréable, mais très en cornes, Cayetano se fait siffler. Le suivant sera un manso con caste qui se réfugie aux tablas au soleil, ce que voyant, Cayetano s’assoit sur l’estribo à l’ombre. L’arène proteste de tant d’inintelligente arrogance, et Cayetano se résout à aller à la rencontre de son adversaire. Séville qui a gagné contre le torero est ravie et lui fait fête. Cayetano auquel la Maestranza a fait comprendre le profit qu’il pouvait tirer de ce toro, qu’il avait pourtant fait massacrer à la pique, soudain plein d’entrega, sert quatre passes basses un genou en terre, de grande toreria. Puis, il quitte les zapatillas, demeure sur le terrain du toro, fait des gestes à la Javier Condé et lie le pecho aux derechazos– et ses pechos sont souverains-, dessine une naturelle templée qui dure encore au moment où vous lisez ces lignes, mais le tout dans un registre efectista, où cependant l’art affleure quelquefois, tant il en a en réserve. Pétition féminine d’oreille qui ne lui est pas accordée. Vuelta mondaine.

L’oreille était en revanche tombée assez généreusement du palco pour le premier du Cid, toro de classe et de grande noblesse mais hélas faible, que le vétéran de Séville a toréé par cites de loin, en l’embarquant dans des séries droitières de grand temple liées au pecho, avec une aisance et un sitio retrouvés. Pas grand-chose à faire sur le quatre, faible et sans race.

C’était de ces corridas où la torpeur s’abat sur nous au quatrième, où l’on aimerait être ailleurs, où l’on s’en veut cependant de tant d’ingratitude à l’égard des toreros qui jouent ici leur saison et, toujours dans le ruedo, leur vie. Puis, il y a eu ce manso con caste de Cayetano sorti en cinq et surtout Daniel Luque sur le six.

Daniel Luque a le physique court et puissant des joueurs de hockey. Virant au roux, son profil volontaire paraît le faire sortir tout droit des séries « Flippper le dauphin » ou « Skippy le kangourou» : dans la famille untel, je demande le fils. Mais il se murmure qu’il a un caractère difficile, ce qui ne fait pas l’affaire des producteurs américains. Alors, il est torero, un de plus grande ambition, et il l’a démontré encore ce jour.

C’est d’abord un capeador de grand style. Il faut le voir sur la pointe des pieds, s’étirant, gracieux, au passage du toro, flexible, doux et lumineux comme une sculpture du Bernin, pour dessiner la véronique. Cette passe est une merveille quand le torero n’oublie pas son catéchisme et le geste de la Sainte sur le chemin de Croix, tentant de soulager les souffrances du Christ. A Séville, où les Vierges sont toutes de douleurs, le visage en larmes, un poignard fiché au cœur, cette passe est sacrée, et les toreros sévillans la chantent chacun à sa façon. C’est une saeta de Vendredi saint. Celle de Curro Romero était un geste simple et profond de compassion pure, celle de Rafael de Paula, un cri de révolte, fiévreux et vibrant, celle de Morante, plus enveloppante, déjà un luxueux linceul. Celle de Luque, maniériste, un signe élégant et discret de réconfort au passage du martyr, sans envisager la fin. Les autres toreros la font comme ils peuvent, assez républicaine en un mot, mais ils roulent davantage l’épaule quand ils sont à Séville, sans savoir pourquoi, sinon qu’ici il faut pratiquer de la sorte.

Luque avait déjà largement amélioré son premier, en deux séries puissantes, liées au pecho, terminant par trincheras dans les talons, du plus bel effet. Seule l’épée l’a privé de trophée. Mais c’est sur le dernier, manso perdido qui s’est fiché à la barrière sol du tendido 12, mais suit la muleta quand on la lui offre dans son terrain qu’il fut supérieur, torero ardent, de bel aguante, qui ne consent pas un pouce de terrain et demeure entre les cornes pour toréer de verdad. La faena est âpre mais dominatrice, si bien conduite que le remate de la dernière série déclenche la musique, le public de nos tendidos debout. Grosse oreille pour le sale gosse au cœur gros comme ça.

Sevilla, 6 mai 2011, Castella, Manzanares, Talavante/ Jandilla

Corrida sortie faible et compliquée, comme l’on dit dès que les toros ne se laissent pas faire. Mansos pour la plupart, brutaux à la charge irrégulière, relevant la tête en fin de passe ou ayant du mal à humilier, enfin des toros à rectifier, ce qui n’est guère facile quand leur faiblesse interdit de les toréer trop bas ou avec poder… Nous sommes donc restés sur notre faim.

Castella très calme m’est apparu un peu en dessous de son premier, avisé mais noble, auquel il a servi pourtant un joli début de faena, belle série de derechazos, une naturelle splendide et un tres en uno maison qui a tiré des « Olés » gutturaux à la Maestranza, toujours encourageante pour Sébastien. Il termine par des circulaires, tout à fait à contre style de son toro. Son second avait des allures de petit toro à charge rapide dont il sait faire son affaire, mais il n’en était rien et les éléments étaient contraires, d’abord un hélicoptère vrombissant au dessus de la Maestranza quand il prend la muleta,  puis son adversaire qui le bouscule à la passe du cambio, le serre à la série suivante, menace constamment, l’accroche encore en lui prenant la jambe en cours de faena, Sébastien faisant face mais lointain et pas vraiment dans le sitio. Il est vrai que demain il baptise son gosse à la cathédrale.  Saludos chaleureux, néanmoins, pour avoir été là.

Talavante a hérité du plus mauvais lot, son premier a été changé, le sobrero est sorti très faible, le dernier faible et avisé. Travail appliqué jusqu’à tirer de valeureuses naturelles de face, insoupçonnées devant ce tio.

C’est incontestablement le moment Manzanares. Sa montée en puissance a signé sa saison dernière ;  c’était il y a quelques jours la plénitude, la Porte des Princes ouverte sur un rêve de toreo à quatre oreilles et un indulto, et aujourd’hui deux faenas remarquables, dans les styles différents que lui imposaient ses toros, sur des pasodobles grandes, colorés, très Belle Epoque, avec flute seule et castagnettes. Un bonheur d’aficionado à la Maestranza. Et la providence étant prodigue, sa cuadrilla fut un modèle d’intelligence et de savoir faire, face surtout au premier, manso et faible qu’il fallait à la fois encourager et économiser, ce que Curro Javier, peon de brega, fit en trois capotazos templés, aérés, de perfection, pour trois paires de banderilles qui soulevèrent la place et firent retentir la musique, les trois peones étant invités à saluer. Toro faible mais d’une noblesse inouïe qui se laissait aspirer par un frémissement de muleta, et le geste était lent et gracieux à la fois, et leurs prolongements doux, et le rythme exquis, un accomplissement d’art, sans fin. Un tiers d’épée puis une entière le privent de trophée et nous sortons du songe. Saludos.

Un adversaire brutal et puissant, à la corne droite redoutable, sort ensuite. José Maria s’y colle, attentif et sérieux. Une voix des tendidos sol y sombra l’invite à ne pas ménager sa peine, l’anonyme ayant sans doute perçu, en dépit de ces cornes qui menacent en fin de passe, sinon la noblesse du moins la caste, et une longue charge vibrante de muletazos largos. Manzanares l’entend ainsi qui change de main, fait face désormais à la corne droite si relevée et sert une énorme série de derechazos, puis une autre encore, qui déclenche la musique. Fin de série lié au pecho, puissant et interminable, un molinete saisissant de grâce face à tant de puissance guerrière, puis une belle série de la gauche, un pecho encore. Dans ces mains, le toro donne plus qu’il ne voudrait et s’avise, la muleta est crochetée sur les deux dernières séries et, comment dire, la tension de l’engagement du torero paraît moindre. L’impression était fausse : l’épée est fulminante. Une oreille et une vuelta d’embrassades le long de la talanquera, sombreros en prime.

L’aficion aussi est prodigue au torero qui réussit, et chacun comble d’éloges cette seconde faena. Importante sans doute, mais voir Jupiter demander sa route à un passant – cet aficionado de sol y sombra qui lui a ouvert les yeux en début de faena– puis un peu débordé en fin de combat, me surprend.

Le vol lent d’une cigogne pendant qu’il toréait me rassure : c’est un signe de splendeurs encore à venir.

Manzanares sort de sa belle après-midi en faisant ce petit geste de salut de la main, le bras près du corps, un poignet de porcelaine, repliant les doigts sur la paume comme le font les enfants en bas âge, dans un geste étudié, mi-Angleterre, mi-revue galante. Sa traversée de la calle Iris est de ferveur électorale et il signe longuement des autographes. La providence aussi s’entretient.