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Malaga, Août 2008

par Août 21, 2008Corrida 2008

Malaga, lundi 18 août 2008,  San Miguel (encaste Manolo Gonzales) pour Matias Tejela, Alejandro Talavante et Daniel Luque devant trois quarts d’arène.

Le torero du jour fut Daniel Luque. Mais être “le torero du jour” résulte moins des qualités de l’homme que des circonstances. Qu’il y ait un “torero du jour”, peu importe lequel, en dit beaucoup de la tarde. Un “torero du jour”, c’est nécessairement une tarde médiocre, d’un long ennui, avec, c’est à parier, des toros qui sortent mal, donnent peu de jeu, faibles ou décastés. Et cette impression persistante, poisseuse qui envahit le gradin : voilà bien une corrida de trop!

Dans la hiérarchie des commentaires, le “torero du jour”est très inférieur au torero “qui a sauvé la tarde”. Le triomphe de ce dernier efface la grise couleur de l’après-midi tandis que “le torero du jour” n’est rien sans cette tonalité dépressive : c’est la silhouette claire qui se détache d’une grisaille. Le “torero du jour” ne sauve jamais l’aficonado d’une mauvaise tarde ; il parvient seulement à tirer son épingle du jeu.

En outre, le “torero du jour” est nécessairement un modeste, jeune, fragile, peu aguerri ou obscur. On ne songera jamais à dire d’une torero de première classe qu’il a été “le torero du jour”. On dira de lui qu’il a triomphé, qu’il n’a pas déçu, qu’il a été regular ou au contraire en dessous- de son niveau, de son toro. Par définition, une figura ne peut jamais être “le torero du jour”, c’est le torero d’une temporada, de quelques saisons ou un torero d’époque. Le“ torero du jour”, lui, est le torero d’un jour et d’un jour “sans”. Mais ce peut être quelque fois, s’il “répète”, une promesse. Surtout s’il a l’âge de Daniel Luque. 18 ans et demi ce jour.

Le bruit court que la présidente de la course a refusé trois toros, remplacés par des sobreros de Las Ventas. Mis à part le dernier, de 577 kgs et fort en tête, la plupart des autres (546, 542, 507, 507, 530) sont, en dépit de leurs cinq ans, très faibles (les deux premiers) et sans classe.

Matias Tejela tombera sur un majestueux premier de présentation, mais qui se révélera, après deux tours de ruedo, lourd et invalide. Son second est d’une autre eau, la tête haute et violente, n’humiliant jamais et parado. Après quelques passes de réglage, Matias le tient bien dans une première série valeureuse, mais ce sera tout. Le torero reste devant la bête pour dessiner des demi-passes mais sans parvenir à donner de la classe à un toro qui en est dépourvu.

Talavante va sombrer devant un toro, pourtant bien reçu par parones élégants quoique lointains, qui va très vite s’épuiser, demeurant parado sauf pour donner de vilains coups de tête lors de demi-charges brusques, à la grand insatisfaction du public qui crie- à cette heure en la seule direction du toro- “ FUERA” “FUERA”, avant qu’une mauvaise épée et une douzaine de descabellos non concluants offrent un nouveau dérivatif à sa colère. Livide et décomposé, le torero assiste impuissant aux trois avis. Son toro rentrera vivant au toril sous une bronca phénoménale et, ici, tout à fait exceptionnelle. Le cinquième, astifino, sera plus que mal lidié, prendra deux grosses piques, Talavante s’abandonnant à ses peones dans l’indifférence générale, avant d’expédier son adversaire d’une demi.

Après le boeuf de labour, sorti en premier, le réservé et décasté deuxième, voici le novillo de la course (4 ans et 8 mois tout de même, 507 kgs) que la Malagueta refuse de voir, manifestant par diverses voies son mécontentement. Pourtant ce toro est vif et de bon comportement à la cape. Daniel Luque (quel prénom sans façon pour un torero…) dessine des parones, les pieds joints et sans bouger devant la charge allègre de son adversaire, puis trois véroniques en chargeant la suerte, s’imposant au toro dans une série qui n’est pas que de tissu. Le trapio modeste du toro distrait sans doute les tendidos de tant de dominio. Mais une pique bien prise où le cheval se trouve bousculé sous la charge, un quite avec une demi de feu, très appuyée, accompagnée par l’épaule, longue et vibrante, puis une deuxième pique sur laquelle le fauve se rue plein d’entrain et un deuxième quite de Matias Tejela dessille l’arène. Chacun sent désormais que quelque chose peut se passer.

Luque offre la mort de son toro au public avec un début de faena par trincherillas et passes par le bas, le bâton de la muleta à la verticale, lui en oblique sur la bête, plein de toreria. Le visage encore mal dégrossi de l’adolescent, les épaules légèrement voûtées, un maintien d’homme des champs, toute cela est oublié quand Luque allonge le bras et dessine une série de derechazos templés et sûrs. La main gauche est plus incertaine ; lui aussi qui se tient a fuera sur ce côté. Il reprend à droite, cite en avançant le bras- qu’il a long- écarte les jambes et tire la charge dans une belle série rythmée et liée.

La caste du toro n’est certes pas entièrement épuisée quand le torero prend l’épée, comme s’il ne savait plus quoi faire. Série de trincheras et pechos qui porte sur le public. Une demi-épée concluante et une oreille méritée, la seconde étant très fortement sollicitée, sans doute pour humilier davantage Talavante. Malaga, aujourd’hui manque de mesure.

Le public attend impatiemment le “torero du jour” sur le dernier, violent et à la très méchante et effilée corne droite. Toro qui se débat avec énergie sous la pique et sera  plus ou moins assassiné sous la seconde avant que Curro Robles ne régale la foule aux banderilles, qui l’invite à saluer, montera en mains.

Luque toréera avec le courage et les recours de son âge- inversement proportionnels l’un aux autres-, se tenant bien devant, affrontant avec beaucoup d’aguante les demi-charges brusques de son adversaire qu’il ne parviendra à allonger ni à droite ni à gauche. Avisé à trois reprises, il ne plie pas et affronte le problème sans autre solution que de donner, à ce toro à tête haute et qui humilie peu, des pechos puissants de grande allure. Une entière en place électrise la foule et plus encore le jeune torero qui court en tous sens, interdisant aux peones de s’approcher, sûr de son fait. Le toro s’effondre. Une oreille.

La corrida était plus que décevante et manifestement Malaga, toujours en attente du triomphe après cinq corridas sans trophées, étrangement impatiente et irritable. Ces toros, de cinq ans et de présentation inégale, étaient décastés et faibles, sauf le troisième et le sixième, ce dernier difficile. Daniel Luque est apparu décidé, avec une belle énergie, une allonge de bras intéressante et une grande puissance à la cape. A revoir.

Malaga, mardi 19 août 2008, Penara dont deux seront changés, le dernier par un Jaralta (entre 507 et 557 kgs, 530 kgs en moyenne), faibles, mansos, sans classe pour Le Cid, Sébastien Castella et Miguel Angle Perera.

 Corrida la plus attendue du cycle. “No hay billettes”.

Toros décastés, faibles pour la plupart, à la charge courte et donnant de violents coups de tête. Public très vite déçu d’aussi peu de jeu offert aux figuras, frappant des mains sur l’air des lampions à plusieurs reprises et obtenant même le changement du sixième- après la pose des banderilles-, qui n’était pourtant affecté d’aucun autre défaut que de s’être montré aussi vicieux et peu coopérant que les précédents. La presse du lendemain se lamente, soutient que jamais d’aussi piètres adversaires n’avaient été présentés à Malaga, souligne, insinuante, que c’est la première fois que les cartels sont conçus par un torero (Rivera Ordonnez)  concluant que tout cela est bien triste pour une place de première catégorie.

Certes, mais Malaga n’a jamais été Bilbao. Les toros étaient en effet décevants mais à réagir ainsi l’aficion locale entretient une conception bien étriquée et au vrai malheureuse de la tauromachie, réduite à l’attente d’une faena standard- à une oreille au moins- où, au moindre impondérable, le torero se trouve implicitement dispensé de tout effort de lidia. Le changement du sixième au seul motif d’évidence que ce toro n’était pas susceptible d’autoriser une triomphe est symptomatique.

Et seul le Cid aujourd’hui s’est trouvé à la hauteur des exigences que certains toreros s’imposent encore à eux mêmes, en dépit de tout. Il m’a une fois de plus convaincu de son vrai poder, s’arrimant à un premier, astifino et parado, à la charge courte et brutale auquel il est parvenu à servir derechazos et deux séries à gauche de grande valeur, chaque fois liée à un pecho que son adversaire avisé rendait nécessairement plus prudent d’exécution.

Mais c’est à son second que la démonstration a été totale. Tête chercheuse dès les premiers lances de capes, que le torero s’efforce de corriger avec savoir-faire et volonté, le menton dans le jabot, l’épaule enroulée au passage, allongeant la charge de son adversaire à chaque véronique. Très belle mise en suerte pour amener un adversaire avisé et faible au cheval, d’une cape maintenue à distance, en reculant doucement sans jamais accomplir de passe. Quite et même mise en suerte pour la seconde pique, arrêtant le toro par une belle larga chicuelinée à la taille, le genou ployé, pleine de toreria.

La faena est sérieuse (trinchera et passe de poitrine bellissimes), rythmée en deux longues séries de derechazos liés et templés, le toro étant cité à distance, complète avec deux séries à gauche où le toro passe moins bien, aussitôt repris à droite où les résultats ne se font pas attendre : devenu coopérant dans une muleta dominatrice, le toro “fait l’avion”, toujours maintenu à égale distance de l’étoffe.

Il reste au Cid à conclure pour ceux qui auraient été aveugles à son travail par une passe en rond lié au pecho. Beau trasteo avec un adversaire ni plus ni moins décasté que ses congénères et qui ménagé, entretenu, puis dominé, a été toréé. Une demi avant une entière, cette fois concluante, priveront le torero de trophée. Applaudissements nourris au centre du ruedo.

Castella montrera moins de décision et de savoir-faire. Son premier ne permettait certes pas grand chose, faible et cahotant, continûment sifflé par le public. Mais son second, manso et que les passe hautes en début de faena n’ont pas rendu plus confiant, sera plus que mal toréé. Castella ne sait manifestement pas qu’en faire, il se le met dessus à plusieurs reprises, recule sans cesse puis, à court de ressource, fait le pendule au grand désarroi du public.

Ce jour Miguel Angel Perera ne m’aura pas plus convaincu. La presse du lendemain écrira qu’il a inventé un toro- le sixième de la course. C’est vivre de persuasion au motif que Perera triomphe partout et qu’il fallait que ce soit le dit ici aussi! Au vrai, c’est le public qui a inventé le toro, en exigeant le changement du sixième pour manque supposé “de jeu”, et la Malagueta ne voulait pas se dédire.

Perera a été superficiel à son premier- brutal en fin de passe mais jamais rectifié- et long de mise en place à son second auquel il finira, après bien des demi-passes données de profil, reculs successifs, et gros problème d’emplacement et de distance, par tirer de belles séries de naturelles, enfin liées et rythmées, mais toujours fuera de cacho. L’allonge de bras et le poignet font le reste qui se donne à voir sans honte, mais c’est un torero aujourd’hui sans puissance et sans profondeur.

Un signe qui ne trompe pas et que la presse s’est gardée de relever : à chacun de ses toros, la présidence a fait jouer la musique, mais toujours tardivement et en l’interrompant bien avant la fin de faena, laquelle n’est pas, en tout cas ce jour, inspirée par ce que le comportement du toro commanderait, mais par ce que Perera souhaitait réaliser pour donner à voir ce que l’on attendait de lui : une série de passes en rond, le cas échéant inversée, dans un terrain réduit au minimum où il s’expose avec aguante. Comme le Paco Ojeda des petits jours ou de la fin, non plus toréer un toro mais se citer soi-même, en livrant quelques extraits, fugaces, de sa tauromachie, déconnectée des circonstances.

C’est exactement ce qui s’est passé à son premier, lorsque la musique s’est tue. C’était beau mais trop tard ; elle n’a pas repris. La grosse pétition d’oreille, refusée, et les “FUERA” “FUERA” adressés à la présidence, ont sans doute déterminé l’octroi du trophée à son dernier.

Oui, aujourd’hui la déception fut immense, et Malaga fuera de cacho. Le Cid comme souvent torero jusqu’au bout des zapatillas.

Malaga, mercredi 20 août 2008, El Pilar pour Pepin Leria, José Tomas et Daniel Luque qui, récompensé de sa prestation de l’avant-veille, remplace Le Cordobes “el Hijo”