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Béziers, 16 août 2015- Miura/ Mehdi Savalli, le retour des Amériques

par Août 19, 2015Corrida 2015

Béziers, 16 août 2015- Fernando Robleno, Javier Castano, Mehdi Savalli/ Miuras

Pour Mehdi, c’est retour des Amériques ! Quel bonhomme, ce torero !

Pour un torero, l’Amérique, c’est généralement une tournée européenne que l’on prolonge par une campagne outre-Atlantique. Pour Mehdi, ce fut l’exil. L’exil au Pérou.

Partir sans rien, sans personne, sans contrat, sans apoderado à dix mille kilomètres de chez soi. S’inventer un passé, un cartel, des histoires de toros et trouver enfin quelqu’un à qui les raconter. Risquer d’être pris pour un imposteur et affronter l’incrédulité ou la suspicion, comme tous les immigrés sans témoin. Il sait. Tant pis ! Ce sera toujours mieux que ces saisons sans contrat ou pire encore ces  engagements systématiquement présentés comme de « la dernière chance » mais dont le succès n’amorce rien. Tel un puits dans le désert. Vous souvenez vous de Mehdi Savalli consacré triomphateur de la Miurada d’Arles 2014 ? « –Y qué ?- Y nada ! »

Alors, il est parti. Vous connaissez, vous, le Pérou ? Alors, t’imagines, Mehdi… Pour lui, le migrant d’Arles, c’est un peu la conquête de l’Ouest, la femme et les enfants dans la roulotte et on verra bien de l’autre côté si le soleil se lève aussi ! Le traje corto et l’habit de lumières dans une malle, avec des photos de France et quelques coupures de presse.  Gratter à la guitare dans l’arrière-salle d’un bar pour tuer le temps, taper la partie de cartes ou jouer aux dominos des journées entières, tisser patiemment sa toile. Faire des potes, car sinon on crève. En espérant qu’un inconnu de passage vous offrira une vieille vache à tienter dans la montage avant qu’un jour prochain votre nom soit à l’affiche.

Et Mehdi a gagné ce pari fou. Une dizaine de contrats, de beaux succès, quelques triomphes et un indulto.

Et dès qu’on le voit fouler le sable lors du paseo à Béziers, on comprend ! Dix contrats dans une saison, c’est énorme pour un torero comme Mehdi. Important. Inespéré. Pour l’estime de soi, la confiance, bien sûr. Mais pour le métier surtout. On ne devient pas champion de natation sans inépuisables longueurs dans un bassin. Torero, c’est pareil. Mais le bassin, c’est le ruedo. Si on vous en chasse, pas de podium.

Physique puissant mais silhouette plus affûtée que ces dernières années, le cheveu court et redevenu tout noir, on sent que Medhi s’est occupé de lui ; athlétique, rajeuni, plein d’une énergie nouvelle. Au moral, un appétit de lion : quand il foule la piste à grandes enjambées, on peine à imaginer qu’il marche comme les autres en zapatillas ; c’est chaussé de bottes de sept lieues  qu’il vient saluer au centre, arracher les bâtons qu’on lui tend depuis la talanquera, ou au centre pour citer son toro ! Volontaire, décidé, irradiant de charisme. Techniquement, beaucoup plus mûr, intelligent et habile.

Et avec ça, un plaisir, une joie de toréer dans tous les tercios qui soulève d’enthousiasme. Pour Medhi comme pour d’autres avant lui, mais à la différence de presque tous ses contemporains, la corrida est une fête. Il est de la lignée des Tomas Campuzano, des Richard Millian, des Victor Mendez, des Espla peut-être aussi, du feu-follet Chamaco, des Padilla, des Fandi. Une manière heureuse, fêtarde, rabelaisienne, quelque fois un peu saturée, d’être dans l’arène. Et Dieu que c’est bon de voir en piste un torero qui ne soit ni un cierge ni un curé !

La Miurada était inégale de présentation ( de 571 à 656 kgs), avec trois très beaux exemplaires ( les trois premiers), des cornes conséquentes mais quelques unes abîmées – le 4 très vilain-, mais globalement faible (le 1, le 3 et le 5), sans bravoure ni sauvagerie, à l’exception du 2, très avisé, dangereux, avec beaucoup de genio ; le 3 noble, le 5 sans charge, le 6 arrêté. Bref une Miurada, non pas compliquée comme Béziers le suggère tant il est interdit ici de s’avouer déçu par la ganaderia, mais médiocre  avec un très bon toro, le 3 pour Mehdi. Belles mises en suerte et grande application des hommes aux tercios de piques, surtout sur le 2 piqué par Alberto Sandoval – prix du meilleur piquero de l’après-midi, plus que justifié- et le 3 par Gabin – tout de même moins sûr qu’à l’habitude à juridiction. Toros tous mansos à des degrés divers et que leur faiblesse contraint à ménager lors du tercio.

Le sorteo n’a guère souri à Robleno. Son premier est faible et sans gaz, belle épée. Son second brutal, à demi-charge, sortant de la muleta la tête haute. Robleno fait ce qu’il peut. Desconfiado à l’épée : 2 pinchazos, bajonazo, entière caida.

Castano a fait face à l’os du jour, son premier, toréé à l’ancienne, mais qu’il n’est pas parvenu à réduire. Le suivant est plus noble mais très faible. Castano lui sert deux belles séries de la main droite, liées et main basse, puis la faena va a menos face à un adversaire épuisé et fléchissant. Une belle épée en place décide la présidence à lui consentir une oreille inattendue.

Mehdi, très soutenu par le public, a fait le spectacle et beaucoup plus que le job. Palmitas d’accueil à chacun de ses toros, il est le seul torero du jour à avoir servi des véroniques, centrées, puissantes et toréées, et ce, à chacun de ses adversaires, après une paire de faroles de rodillas à la sortie de son premier. Aux bâtons, il fut plus allant que jamais face à des gradins conquis, un merveilleux poder a poder en courant à reculons et un violin de macho sur son premier, la banda jouant l’ouverture de Carmen sur le tercio. Deux grandes paires sur le suivant, avant un cite énorme, Mehdi à genoux, les cuisses écartées, renversant le buste en arrière jusqu’à toucher le sol des épaules, se redressant, recommençant, en une ondulation de contorsionniste. Le voir faire ainsi le tapis volant pour agacer un adversaire de 591 kgs est un régal. Le toro accourt et Mehdi se relève pour une quiebro un peu approximatif qui met le feu aux arènes.

Mais c’est de muleta qu’il surprend par son intelligence et sa technique. Son toro est noble et a beaucoup de présence. Hélas, il marque une légère faiblesse, comme d’autres pensionnaires. Et toréer un Miura à mi-hauteur n’est pas donné à tout le monde. Mehdi y parvient, après des doblones très ajustés, en trois séries de la droite qui vont a mas, la troisième supérieure de tout, de position, de ligazon et de temple. Sans doute un brin lointain à gauche, il revient à droite, sûr et serein, en confiance, donne une dernière série, sans se presser mais sans prolonger la faena comme sans doute le toro l’aurait permis. Mehdi a bien fait, qui a appris de ses erreurs de jeunesse. Ne pas en faire trop, toréer à sa mesure. Tout le monde n’est pas Ponce ou le Juli et ces deux-là n’ont pas les Miura pour tasse de thé. Ultime série l’épée en mains. Entière un peu trasera, descabello. Oreille et vuelta très fêtée.

Le suivant arrivera arrêté à la muleta. Là encore, Mehdi ne renonce à rien et s’adapte, dans un trasteo rapproché, dans le sitio, avec un aguante phénoménal, par porfia, pendule de droite et de gauche, jusqu’à ce que le toro embiste enfin, dans la muleta déployée, tenue, templée et dominatrice. C’était le maximum que ce toro pouvait supporter et ce maximum, qui supposait son poids de cojones, nous a été offert. Pinchazo, ¾ d’épée qui suffisent.

Tout le monde a compris : Mehdi a fait notre après-midi. Retrouvé, viril, a gusto, solaire.

Porté par les applaudissements du public jusqu’à la puerta des cuadrillas, le bras levé bien haut, il est sorti en conquérant. Superbe et généreux. Comme on revient, non de l’exil, mais d’une campagne victorieuse au Pérou. Dont il a bellement récolté les fruits ici. Prochain cartel de Mehdi le renaissant : le 13 septembre à Arles face aux Cebada Gago.

NB/ Six anti-taurins ont envahi la piste avant le paseo, y jetant boules puantes et …des clous ; ils ont été rapidement appréhendés, avec sûreté et sans violence, le public ayant manifesté sa colère tout en évitant tout déchaînement de haine. L’aficion a appris à se comporter face à un harcèlement dont les anti attendent qu’il nous rende odieux et paraît- que faire d’autre ?- prendre son parti de tels incidents.

On songe cependant, après avoir vu un Mehdi si connecté au public, que des carteles moins homogènes et moins attendus que ceux que l’on nous présente généralement, offrant de la diversité et de la joie d’être en piste, des carteles plus « physiques », faisant appel à des toreros moins convenus et plus spectaculaires pourraient relever l’aficion de sa lente anémie. Car celle-ci, ce ne sont pas les anti-taurins qui la provoquent….

La suite de l’organisation fut parfaite, paseo avec « Carmen »  chanté, l’air d’Escamillo par un ténor impeccable, banda brillante et à propos, chants provençaux divers durant la course, public bon enfant qui n’a pas réclamé la messe ménardienne, la messe hostile, la messe anti-républicaine et qui, pour le reste, n’a pas boudé son plaisir.