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Feria d’Arles, Pâques 2015

par Avr 7, 2015Corrida 2015

Arles, 3 avril 2015- Frascuelo, Curro Diaz, Roman Perez/ Dos Hermanas,

Un tiers d’arène par beau temps et c’est panique à bord : Arles sort la grosse artillerie de la bouvine pour protéger la corrida des attaques : la reine d’Arles est annoncée qui traverse la piste, entourée de ses deux dauphines, et des confréries de gardians, oriflammes au vent, prennent place de part et d’autre du ruedo, en une haie d’honneur qui, au passage des toreros, lève les drapeaux. L’initiative est sympathique mais le spectacle bien triste. On songe aux armées victorieuses présentant les armes aux cohortes engueunillées pour rendre un ultime hommage à la bravoure du vaincu. L’honneur est sauf mais la défaite n’en est que plus cuisante. On en est donc là… Le tout sur l’air de l’Arlésienne.

Minute de silence en hommage aux disparus, Lucien Clergue et Manitas de Platas parmi d’autres. On se dit que la corrida ne commencera jamais mais, soyons franc, on se sent alors davantage chez soi….

Les Dos Hermanos sont bien sortis, joliment présentés, robes variées, les trois premiers certes un peu faibles (le deuxième surtout) mais les trois suivants avec beaucoup de présence, bravotes à la pique, nobles avec un fond de caste, beaucoup de mobilité, les cinq et six applaudis à la sortie.

Frascuelo c’est De Gaulle ! Quel torero, cet homme…Né en …48, il fait sa présentation à Arles à 67 ans : il était temps… Mais ne nous moquons pas ! C’est un torero rare qui n’a jamais beaucoup toréé, en tout cas hors de Madrid, qui a triomphé l’année passée à Céret et qui rêve d’une campagne française pour se relancer. Rien du vieux torero qu’on ressort à l’occasion comme tant d’autres. Rien chez lui ne fait « vieux torero », il n’a pas ce regard égrillard du vieillard qui s’excite en vain devant des jeunes filles pour amuser l’aficionado, il n’a pas la taille épaisse ni le visage pris dans la mauvaise graisse, aucun de ces tics des grands anciens qui réapparaissent pour nous livrer, souvent pathétiques, quelques citations bégayantes de leur toreo d’antan. Non, lui, Frascuelo n’a jamais beaucoup toréé mais ne s’est jamais retiré et cela se voit ; cela se sent. Un emplacement de trois quats, toujours très vertical, citant de loin, mandant, templant dans une économie de geste souveraine. Tant à la cape qu’à la muleta. Sa première faena face à un adversaire faible a été quasiment exclusivement gauchère, une faena de naturelles pures, trinchera, passes de la firma, une faenita précieuse et de très grande classe. Et face à son second adversaire plus exigeant, le temple et la douceur de la cape étaient inouïs, le quite à la chicuelina solennel où faute de pouvoir pivoter sur lui-même comme un jeune-homme, il s’enveloppe tout entier de la cape, et la faena de grande allure – trincheras, naturelles de face-, ponctuée de desplantes et de remates de bon goût qui lui évitent le pecho que n’autorisent plus une taille ankylosée et une prudence de bon aloi. Il tue mal son toro ? A la différence de tant d’autres, il reprend l’épée. A la fin du combat, il salue dignement au centre de la piste et n’entame la vuelta que sous la pression unanime du public. Ah, ça, oui, la grande classe !

Curro Diaz, en turquoise et or, a été discret face à son premier, quasi-invalide, précieux sur le suivant, avec une entame de faena très brillante, planta torera, main basse, pecho de grande allure et cette muleta comme suspendue à ses doigts, légère, aérienne. Mais cette poésie torera ne fait pas un torero : l’indifférence au dominio se paye en fin de faena et le toro arrive à la mort sans avoir été toréé. Une jolie aquarelle.

Roman Perez, le local de l’étape, en habit couleur camion de pompier (rouge et blanc), torée, lui, un peu à la truelle. Un artisan sans façon, loin des joliesses précédentes, mais valeureux, handicapé certes par une absence criante de grâce, mais non dénué de technique. Torée son incommode premier en faisant face de la main gauche, arrache une oreille très méritée sur le suivant tué d’une épée magnifique. Marco Leal très torero aux banderilles sur le premier et efficace à la brega sur le second. On ne louera jamais assez le brio et l’aficion des cuadrillas arlésiennes.

Arles, 4 avril 2015- Finito, Juan Bautista, Manzanare/ Domingo Hernandez

Toros très jutes de présentation, cornes commodes, piques symboliques, la plupart décastés, le lot de Manzanares plus intéressant.

Finito désormais torée pour lui, pour son plaisir, exclusivement. Et le nôtre est un peu clandestin, comme si on s’invitait à le voir toréer de salon, voleur de son intimité. Très appliqué sur son insigne premier, un capote d’or sur le suivant avec une économie de tout, de geste et de tissu. Le temple et une lenteur inouïe pour seule arme. Et Dieu sait alors s’il torée : ce temple et cette lenteur sont un vrai châtiment, une torture amoureuse, des sévices délicieux. Et l’arène, soudain ensorcelée, n’est plus que respirations suspendues, rugissements rauques, spasmes de geishas. L’acmé ? Un quite de quatre demi-véroniques à se pâmer.

Juan Bautista est certes plus prosaïque, mais il a fait sur son second, affreusement andarin, distraido, sans classe mais mobile, ce qu’il fallait faire, c’est-à-dire de tout : pas une passe ne manquait dans un répertoire généreux, intelligent, de grande technique, certes pas pour l’histoire mais qui combla le public. Un recibir après pinchazo a fait tomber les deux oreilles, là où une aurait suffi, mais qu’importe, la corrida est une fête !

Manzanares, en grand deuil dans un habit noir superbe, très seigneur de la Renaissance, a tardé à prendre la mesure de son premier, mobile, de beaucoup de présence, auquel il a servi sans grande imagination ni dominio mais avec élégance, sa faena des jours où l’on ne force pas trop. Chacun songe qu’il se ménage pour son lendemain sévillan. Gros pinchazo avant entière caida et deux avis.

Mais la faena suivante sur un manso, paraissant complétement décasté, andarin comme le précédent mais brinqueballant et sans classe, sera d’un alchimiste qui, en deux séries de derechazos centrés, templés et d’une lenteur magique, vous invente un toro, comme on transforme du plomb en or. Une passe du cambio, la muleta non pas à l’épaule mais aux chevilles, comme une trinchera inversée, merveilleuse de délicatesse et de finesse, un pur ouvrage d’orfèvrerie, ouvrira le toro tel un sésame que l’on chuchote à l’oreille, et mettra à jour ses mystères, un toro désormais dépouillé de toute scorie, soudain plein d’allant, définitivement rectifié, noble et joueur, inlassablement. Ce n’est plus alors une faena, douceur, lenteur, volupté, c’est un ensorcellement lent, infiniment suspendu au pecho, infiniment recommencé à la naturelle, un transport féerique, une traversée cotonneuse vers des rives occultes.

Les éclats noirs de l’habit de lumière et le toro à la robe charbon autour du rouge éclatant de la muleta, sont d’une fleur carnivore. Et sous le ciel tourmenté de nuages sombres, les tours sarrasines battues par le vent, sur cette piste grise, cette faena est un dahlia noir, venimeux et hypnotique, qui joue comme un philtre. C’est l’Oeuvre au noir. Le Grand Œuvre.

Alors, le torero va chercher l’épée, met son toro en suerte, se place à dix mètres – oui dix, au moins…-, agite sa muleta et attend, arrogant et plein de soi, la charge de son adversaire, dans un recibir inouï, impossible, un recibir « à-Dieu-va », de folie et d’effroi. Le toro voit le tissu, cet homme et peut-être cette épée, accourt, galope – Dieu que c’est long- et vient mourir en brave sur ce bras tendu qui n’a pas fléchi. A cet instant l’alchimiste était un torero de pierre.

Deux oreilles et la queue dans l’effervescence et le délire.

On songe alors à ce maestro qui torée le lendemain à Séville et dont on avait craint un instant qu’il s’économise ici. Sa geste arlésienne, ce défi, le risque pris, inconsidéré et grandiose, est tout ce que nous aimons de la corrida, pauvres de nous, les séductions de la folie pure, le rêve faustien de triompher de la mort, la déraison et l’héroïsme. P….de drogue….

Arles, 5 avril 2015- Castella, Fandino, Luque/ Montalvo

Les jours se suivent…. Ambiance glaciale, grand vent, toros sans grand intérêt et le public la tête ailleurs, tout au « Classico » de ce soir au stade Velodrome, qui n’a pas su voir Fandino dans une faena sérieuse, allant a mas, ayant servi les naturelles les plus croisées et les plus classiques du cycle, aimantant son adversaire « par en dessous » comme il convenait et était très valeureux d’y parvenir. Epée superbe. Légère pétition. Salut. Castella une oreille sur son second. Nous partons, frigorifiés, après le cinquième. Quant au Classico, vous connaissez le résultat…