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Arles, Pâques 2006

par Avr 18, 2006Corrida 2006

Arles, le vendredi saint 14 avril 2006, Garcigrande- El Juli, Castella, Perera

Au débouché des rues étroites qui mènent aux arènes, qu’elles surplombent -un peu à la manière des ruelles de Sienne qui, en grimpant, vous font la surprise de la piazza- c’est un véritable massacre qui s’offre aux regards: le virage sud-ouest des arènes a été restauré. Un carton pâte lisse, blanchâtre, découpé en arêtes tranchantes. Ce n’est plus Viollet- le- Duc, c’est Hollywood!Stupéfaits, on s’aperçoit vite que les travaux ne sont pas achevés. On bénit alors la paresse des restaurateurs, les fonds qui ont manqué, la révolte des arlésiens, peu importe la cause, l’essentiel c’est que les travaux nous aient laissés sur les trois quarts restant les arches de pierre rongée, leurs jambages aux contours incertains, les piliers aux ombres obscures, les traces d’un combat contre le temps depuis Rome.Comme une peau distendue qui donne sa majesté au visage d’un vieillard. Sans doute convenait-il de traiter la pierre contre les attaques de nos pollutions contemporaines, mais ce qui a été fait et qui se donne à voir est un atroce lifting qui, s’étant assigné de rajeunir le monument, l’a avalé tout cru, l’a fait disparaître, a dissous l’amphithéâtre de tant de drames et de passions en un vilain décor de supermarché à la Ricardo BOFILL, qui serait posé là le temps d’un faux combat de gladiateurs avant d’être démonté pour être installé dans d’autres foires où il aurait tout autant sa place. Oui, de l’extérieur nous avons perdu un quart de nos arènes.

A l’intérieur, rien n’a bougé. Il fait grand soleil, le chaudron se remplit peu à peu et les tours sarrasines sont toujours aussi belles.

Le Juli aura été supérieur à son premier Garcigrande, toro brave et de caste, parvenant sans peine mais avec vigilance sur la corne droite à l’embarquer dans de belles séries, sérieuses mais dépourvues de profondeur, où le souvenir aura du mal à s’accrocher. Assez curieusement la musique ne joue pas. Mort d’une épée souveraine (une oreille).

Sébastien Castella est le torero du moment. Dès le premier toro du Juli, il ira au quitte par mariposas douces et d’une belle lenteur, non sans perdre une zapatilla et se déchausser de l’autre comme il a coutume de le faire. C’est, décidément, le torero aux pieds nus!

Son premier toro est complètement anovillado. Une chute spectaculaire du torero à la cape et une autre du picador maladroit donneront le change et le public s’enthousiasmera d’une faena limpide, avec moultes cambios, pendules et tres en uno devant un toro chaton, dépourvu de vice et suivant sans se lasser trop les plis de la muleta avec une soseria qui prive ce combat d’intérêt. Sans se lasser trop? Si, tout de même à la fin… Castella trop long, toujours trop long. Deux oreilles au “novillero”.

Miguel Angel Perera, dans un beau costume marron et or, ne trouvera ni le terrain, ni la distance, ni le troisième temps de la passe- se mettant le toro dessus à chaque fois. Le public est calme, et moi très déçu. Je ne reconnais pas le torero qui avait enthousiasmé Las Ventas en septembre par son dominio et son temple. Epée profonde et inefficace, deux descabellos, silencio. Sa prestation sur le sixième sera identique.

Le second del Juli sera sans force.

Restait Castella qui, au cinquième, ojedise en silence puisque ce jour, et incompréhensiblement, la présidence a décidé de nous priver de musique au grand scandale du public qui, pour accompagner la faena, frappe dans ses mains. Fort beau geste à l’épée, très décomposé, mais hélas l’acier est mal placé. Un bajonazo d’anthologie.

Arles, samedi 15 avril,

Les arènes sont au trois quarts pleines et le temps maussade : une pâle lueur sous un ciel lourd. Mais l’ambiance est bon enfant, chacun attend les artistes avec impatience et Morante plus que tout.

Hélas, de Morante, il n’y aura pas. Le premier toro d’Antonio Banuelos ne lui convient pas sans que l’on sache avec évidence pourquoi. Le public comprend et commence à siffler les hésitations, les prudences et les velléités du torero précautionneux, puis renonçant. Morante va chercher l’épée sans nous avoir donné une passe. Chahut pour l’artiste qui torée le lendemain à Séville et pour cette raison sans doute -disent les plus rationnels- se réserve.

Le quatrième toro qui lui échoit entre mal en piste avec des signes de mansedubre et de faiblesse des pates. Le torero se garde lors des passes de réception, puis en l’amenant au cheval. Le toro pousse mais tombe sous la pique, le public s’énerve à nouveau et la bête est changée à la grande insatisfaction de Morante qui aurait volontiers fait son affaire arlésienne d’un tel prétexte. Discussion animée entre le maestro et l’alguazil tandis que le toro de remplacement(Alcurucen) entre en piste. Décidé à manifester sa réprobation face à ce changement imprévu -et au vrai injustifié-, Morante reste à la barrière, laissant oeuvrer ses péons sous les olés de rage du public.Il se dispensera d’amener le fauve à la pique et boudera le quite. La bronca couve, mais l’artiste étant ce qu’il est, au commencement du troisième tercio, le gradin s’impose à lui-même le silence, de “chutt!” sans réplique, prêt à sacrifier sa colère aux aléas d’inspiration du torero. Et rien, sinon un phénoménal “On s’emmerde”qui déchire le silence, cri incongru, certes, mais au fond assez à propos. La bronca qui couvait et qui s’était un temps rengorgée, quoique chauffée à blanc depuis les premiers gestes du torero, explose, et se prolonge comme rarement à Arles.

Juan Bautista est le fils du directeur des arènes. Joli jeune-homme et novillero brillant, les aléas d’une carrière de torero l’ont éloigné un temps des plazas, mais l’aficion s’est révélée la plus forte et le voici réapparu. Il doute face à son premier adversaire, faible mais qui ne demande qu’à s’employer. Il recule, se le met dessus. Nous sommes tous un peu tristes pour lui. Belle épée mais non concluante et deux descabellos. Son second toro sera plus compliqué. Et là il s’accroche avec dignité quoique étant débordé des deux côtés. Silencio.

Salvador Cortes a un très bel habit pourpre cardinalice et affrontera à gauche un toro noble et avec beaucoup de gaz. Un joli poignet et une belle allonge de bras lui permettent de dessiner de longues naturelles, mais hélas, il recule de trois pas entre chaque passe. Ce toro est à citer de loin et il le cite de près en l’étouffant. La faena va cependant a mas s’achèvera sur une série gauchère, profonde et de grande beauté, la main basse, le geste long. Elle vient trop tard. Quel dommage!

Je n’ai aucun souvenir du sixième toro, sinon que Salvador, cette fois-ci le cite de loin. C’est ce qu’il fallait faire à son précédent.Avec celui-ci c’est moins sûr, et en tout cas peu durable.

Arles, dimanche 16 avril, matin

C’est la novillada attendue, avec Mehdi Savalli chez lui. Cette phrase seule qui mêle des consonances étranges, un prénom marocain, un patronyme italien, des toros espagnol sur nos terres camarguaises et le tout dans des arènes romaines me transporte de joie. Je comprends qu’il puisse s’en agacer quelque fois, mais voir la Camargue, cette Camargue des Bouches-du-Rhône, terre d’élection du Front National, faire de ce novillero-ci son héros me comble d’espérance. Olè y Olé!Ouallah! Ouallah! Le revers de sa cape est vert islam, comme un drapeau marocain, et après son triomphe (une et deux oreilles, celles-là généreuses), il s’enveloppera au centre de l’arène d’une bannière blanche que ses amis de quartier avait confectionnée, comme dans ces drapés dont les hommes du désert se protègent du sable.

La novillada de Palla sortira belle et généreuse en six exemplaires de très joli trapio, allurés, nobles, à la caste pleine d’alegria et braves pour la plupart. Le deuxième s’épuisera cependant assez vite en frustrant Medhi d’un vrai triomphe. Le troisième, peu piqué mais d’une très grande noblesse, se verra récompensé par une présidence candide d’un tour de piste mal à propos. Les premier, quatrième et sixième de beaucoup de jeu seront supérieurs.

Perez Mota a de la classe, un très joli poignet et, sinon du temple, du moins une allonge de bras qui le laisse espérer. Il rappelle ces novilleros qui nous avaient enchanté jadis, tel Finito de Cordoba, tout en paraissant s’ennuyer un peu dans le ruedo, sans jamais forcer ni l’enthousiasme ni le geste, comme si leur carrière était déjà derrière eux et qu’il nous suffisait de les attendre, comme on peut le faire des plus grands. Première faena d’un grand classicisme, avec passes droitières de belle facture, jolies naturelles et pechos supérieurs mais dans un toreo dépourvu de profondeur tant il est parallèle. Le novillero paiera cette superficialité à la fin, la tête du fauve étant encore fort mobile. Belle épée cependant et une oreille avec applaudissements au novillo. Deux oreilles à son second, injustifiée la deuxième, pour un trasteo élégant mais sans envoûtement, sauf peut être quelques véroniques de réception fleurant bon son artiste.

Medhi, lui, manifeste par toutes les pores de la peau son bonheur à fouler le sable, son enthousiasme d’être là, son aguante joyeuse faite d’un courage qui n’a rien de sacrificiel- à l’inverse de tantd’autres- , son physique d’athlète. Il est la présence même, le débordement irradiant, le torero pour les autres qui paraît n’avoir d’autre plaisir que d’offrir celui qu’il éprouve au public.

Il reçoit le novillo avec des véroniques viriles agrémentées plus qu’il ne le faudrait à ce stade de chicuelinas approximatives et quelque fois inutilement serrées. Mais c’est aux passes de quite qu’il donnera le meilleur, appelant son ami Marco Léal, novillero arlésien comme lui et qui fait ce jour sa présentation en novillada piquée, pour entreprendre trois passes al limon, les deux toreros côte à côte sur une même ligne, qui citent le fauve en même temps et dessinent, chacun à son passage, une véronique inversée. Ces capes qui se déploient ensemble, puis se referment sur le corps de la bête, celle-ci suivant tantôt l’une tantôt l’autre, avant de revenir dessiner la même figure avec lenteur, ont le mystère et la beauté d’une fleur carnivore. L’arène rugit de cet ensorcellement où, comme le novillo et les deux jeunes gens en lumière, elle se trouve prise en étau dans un instant de magie pure. C’est Alice aux pays des Merveilles. Et nos deux complices, mutins, de saluer de leur bon tour.

Une même complicité aux banderilles et ce geste d’étonnante générosité de Medhi partageant sa dernière paire en offrant un bâton à Marco, chacun plantant le sien al violin (le bras passant par dessus la tête) dans un même mouvement, comme al limon, avant d’arrêter la course du novillo a cuerpo limpio.

La faena ne sera pas à hauteur, le novillo ayant perdu bien des forces au cours de ces deux premiers tiers de dédoublement (une oreille).

La vraie surprise viendra de Marco Léal pour sa présentation à Arles. Véroniques de réception très assurées, ajustées et toréées. Et faena de grande qualité qui a su canaliser l’alegria du novillo tant à droite qu’à gauche. Un travail sérieux, de grande justesse, et assez dominateur. Un travail de torero. Une vuelta al toro et deux oreilles viendront un peu gâcher la fête, mais qu’importe les trophées….Marco, heureux comme un gosse, avait offert la mort de ce premier adversaire à sa bande de copains qui, dégringolant des gradins, sont venus s’agglutiner sur la piste, un, deux, dix, douze, quinze, vingt, peut-être plus. A offrir ce toro à ses potes, on crût un instant que tout le public allait se retrouver en piste. Il fera la vuelta en portant un bébé blond sur le bras, dernier rejeton des Léal, son demi-frère entendit-on sur les gradins.

Les choses devenaient plus sérieuses pour Medhi. Ce devait être sa journée et c’est finalement celle de son copain. Une puerta gayola réussie (deux passes) puis deux autres passes afaroladas de rodillas près des tablas donnaient le ton. Après les piques, chicuelinas y chicuelinas. Et son pote vient au quite donner, lui, trois véroniques et une demi, une très belle demi. Comme une crispation dans l’air, cette opposition des styles, le classicisme et le baroque. Non mais, Marco, fais gaffe….

Medhi décrochera deux oreilles généreuses, mais son visage disait une certaine déception durant la vuelta. Rien de très notable à la faena.Medhi à revoir le plus prochainement possible.

Marco Léal sera sérieux et appliqué sur son excellent dernier, avisé à gauche. Trop confiant sans doute, il se fait crocheter la muleta à gauche, et une fois, et encore une fois. En complet échec sur ce côté, il reprend la main droite et dessine de jolies séries. Pas très heureux à la mort, vuelta.

Les trois novilleros sortent a hombros.

Arles, lundi de Pâques 17 avril,

Toros de Yonnet , très beaux de trapio ( de 530 à 570 kgs), tous ou presque applaudis à l’entrée, qui prendront 14 piques au total; trois en sortiront faibles ou massacrés ( 2éme, 3ème, 3ème bis). L’un sera changé.

Le Fundi (une oreille et une oreille) sérieux, intéressant sans forcer mais tuant magistralement ses deux adversaires.

Denis Loré a eu la malchance de tomber sur un des plus faibles qui donnait de grands coups de tête de droite et de gauche. Son second était très avisé des deux côtés. Denis l’affronte avec courage vers le patio de cuadrillas, et lui tire derechazos et naturelles. Lamentable à l’épée.

Ramos plante les banderilles, et plutôt valeureusement. Dans les cornes pour la troisième paire sur son dernier toro, il parvient à se dégager d’une position délicate mais trébuche et tombe. Le toro le frôle de ses cornes, le piétine mais ne l’accroche pas davantage.Chacun croit qu’il est sérieusement blessé, en tout cas il est hagard. On le rafraîchit près de la barrière, on l’entoure, on lui enlève la chaquetilla pour s’assurer d’une éventuelle blessure et puis il revient, en gilet et bras de chemise, élégant mais plus encore offert à l’adversité.

Cette cogida est déplorable, comme toutes les autres bien sûr, mais aussi parce que ce toro est le meilleur de l’après-midi. Apre sans doute, mais Ramos parvient à la faire passer et à allonger sa charge avant d’interrompre. L’essentiel était fait et Ramos n’a pu, eu égard aux circonstances, faire davantage. Dommage y olé au torero.